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annonçait, dans sa célèbre Lettre au peuple français[1], la réalisation prochaine de la conspiration des sociétés secrètes, la destruction de la Bastille et de la monarchie, et l’avènement d’un prince (le duc d’Orléans, Philippe-Égalité) qui rétablirait la vraie religion, Mirabeau écrivait son Mémoire sur Moise Mendelssohn et sur la Réforme politique des Juifs. Il s’était familiarisé avec cette question dès son premier séjour en Prusse (1715), où il avait été envoyé par M. de Vergennes pour une mission politique secrète. Là, il s’était vu aussitôt entouré comme un père par les Illuminés allemands Nicolaï, Biester, Gedike, Mauvillon surtout, l’élève de Knigge, qui l’initia aux mystères de Weishaupt. De retour en France, il avait introduit la nouvelle doctrine dans sa loge des Philalèthes, où il fit adopter ses principes au duc d’Orléans, à Condorcet, à Savalette, à Court de Gebelin, etc. Le terrain était préparé en France aux apôtres allemands de l’Illuminisme, Amelius Bode et le baron de Busche.

Dès 1776, Mirabeau rédigeait un plan de réformes, où il proposait à l’ordre maçonnique de travailler efficacement à miner le despotisme, à poursuivre l’émancipation civile, économique, religieuse, la pleine conquête de la liberté individuelle.

Sur la fin de 1785, Mirabeau, plus que jamais compromis dans sa réputation, et tourmenté du désir de se faire regretter en France, se rendit à Berlin, avec sa nouvelle compagne de débauche, madame de Nehra. Il y renoua toutes ses anciennes relations et en fit de nouvelles ; il se lia en particulier avec un homme considérable, historien, philosophe, économiste, depuis ministre de Prusse à l’étranger, Chrétien-Conrad-Guillaume de Dohm, celui que les historiens juifs appellent « l’immortel Dohm. » Celui-ci venait de publier, en 1781, en faveur des juifs et de leur émancipation, un mémoire intitulé : De la Réforme politique de la situation des Juifs. Non seulement il y faisait l’apologie de la race juive, en attribuant ses défauts et ses vices à la conduite de la société à leur égard, au refus auquel on s’obstinait de leur accorder les droits de l’homme et ceux du citoyen ; mais encore il sommait les souverains de réparer à l’égard des juifs les injustices du passé, « s’ils ne voulaient pas les forcer à être pires que les autres citoyens ». Il ne manquait pas de professer ouvertement la fameuse théorie de l’indifférentisme religieux, et menaçait l’Église des représailles de l’autorité civile, si elle s’opposait à cette réhabilitation « d’une secte qui a donné l’origine à la sienne ». Dohm, comme le dit très bien l’abbé Joseph Lémann, présentait ainsi à la signature des souverains le complément de l’œuvre de Luther.

  1. L’année suivante, janvier 1788, on lisait dans le Museum allemand : « Il va se faire sur notre globe une révolution politique très remarquable, et il n’y aura plus d’autre religion que celle des patriarches, celle qui a été révélée à Cagliostro par le Seigneur dont le corps est ceint d’un triangle. »