Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/477

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un injuste préjugé contre eux, et il vaudrait mieux peut-être ne pas toucher à cette grande question que de ne pas la résoudre sur le champ par les grands principes qui en réclamaient la décision. Le moment, du reste, est singulièrement favorable ; au milieu des changements opérés par la Révolution, celui qui sera relatif aux juifs ne fera sur le peuple qu’une impression légère. »

Malgré toute cette intrigue, l’Assemblée nationale attendit, pour s’occuper de nouveau de la question juive, jusqu’au 18 janvier 1791 ; encore profita-t-on de la présidence de l’abbé Grégoire pour la remettre subrepticement sur le tapis. Un député, M. Folleville, se plaignit, au cours de la discussion, de ce que l’on avait attendu la présidence de l’abbé Grégoire pour abuser du système de tolérance qu’il professait, et de ce qu’un membre du comité ecclésiastique s’était permis d’intervertir l’ordre du jour indiqué, pour faire cette proposition.

Les adversaires de l’émancipation improvisée des juifs trouvèrent ce jour-là un éloquent interprète dans le prince de Broglie, qui avait déjà combattu la motion de Clermont-Tonnerre : « Toute cette intrigue, dit-il, est ourdie depuis longtemps par quatre ou cinq juifs puissants établis dans le département du Bas-Rhin. Un d’entre eux surtout (le fameux Cerf-Berr), qui a acquis une fortune immense aux dépens de l’Etat, répand à Paris des sommes considérables pour s’y faire des protecteurs et des appuis. Je vous dirai que depuis longtemps la ville de Strasbourg est en fermentation au sujet des prétentions annoncées par plusieurs de ses juifs, et jamais la paix publique n’a exigé plus impérieusement l’ajournement. »

L’ajournement et le renvoi au comité de constitution furent mis aux voix et décrétés par une grande majorité[1].

Devant ces résistances de la majorité ce l’Assemblée nationale, il n’y avait plus de ressource pour les avocats de l’émancipation, qu’une surprise, un tour de main, un de ces escamotages audacieux, tels qu’on en rencontre si souvent dans les délibérations parlementaires. Le tour fut joué le 27 septembre 1791. Les historiens juifs de la Révolution le reconnaissent eux-mêmes ; M. Théodore Reinach s’exprime ainsi :

« Il semblait que cette question, d’où dépendait en réalité l’avenir du Judaïsme tout entier, fût sur le point d’être enterrée, lorsque l’émancipation complète des israélites fut tout à coup votée à l’improviste et presque sans débat. »

Le presque est de trop. Profitant des derniers moments de la Constituante,

  1. L’Assemblée demeura aussi insensible à un Arrêté de la Municipalité de Paris du 26 mai 1791, rédigé sur la requête des juifs au Conseil général de la Commune. (La Prépondérance Juive, p.215).