Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/48

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Vous ne vous confessez plus depuis longtemps, et vous avez mille fois raison ; pourquoi aller raconter à un prêtre vos actions, lui rendre compile de vos paroles, de vos pensées ? Est-ce que ces choses-là le regardent ?… Or, votre mère croit que vous vous confessez régulièrement, et cela lui suffit… La communion n’a pas plus d’importance. Voyons, mon aimable amie, promettez-moi de communier le jour de Pâques, sans vous être confessée. Est-ce dit ?… Je comblerai tous vos désirs, pour chasser de votre cœur les moindres inquiétudes. Je ne veux pas que mon Emilia ait des tristesses ; je veux qu’elle soit gaie, sans souci, belle, la plus belle de toutes et la plus heureuse… Me promettez-vous de suivre mon conseil ?

— Oui, monsieur.

À ce moment, l’enfant de chœur sonna le Sanctus, et le mystérieux ami d’Emilia disparut. Puis, le rêve se termina, ou un autre songe banal, insignifiant, lui succéda, dont la jeune fille ne garda pas souvenir.

Le lendemain, Emilia, réfléchissant à ce qu’elle avait vu et entendu dans son sommeil, se dit que la nuit lui avait porté bon conseil et qu’elle communierait sans se confesser au préalable.

Ce fut ainsi qu’elle entra dans la voie du sacrilège. Elle mena dès lors une existence hypocrite, toute de dissimulation. Parfois, elle revoyait dans ses rêves son ami étrange. Elle s’habitua à lui. Enfin, elle voulut savoir son nom. Elle insista beaucoup ; mais il refusa encore de la satisfaire sur ce point.

Sa camarade d’enfance, un peu plus âgée qu’elle, était sa seule confidente. Celle-ci apprit un jour à Emilia qu’elle aussi voyait en songe le même personnage énigmatique. Puis, elle lui offrit de la faire entrer dans une société dont elle avait été reçue membre. C’était une loge luciférienne.

— Figure-toi, Emilia, lui dit-elle, que, l’autre jour, à notre réunion, nous avons eu, parmi les frères visiteurs, un monsieur très distingué qui ressemble comme deux gouttes d’eau à l’ami secret que nous voyons dans nos songes. Il m’a pris à part, un moment, et m’a dit : « Je vous en prie, ma chère sœur, conduisez-nous Emilia. »

Emilia fut enchantée d’être présentée au triangle. Elle demanda l’initiation par l’intermédiaire de sa camarade, et fut reçue à son tour.

Deux années se passèrent. Jamais la famille ne se douta de rien ; car dans ces pays-là, les jeunes filles sortent à volonté et ont une grande liberté d’allures. On savait que, par son amie, son inséparable amie, Emilia fréquentait telles et telles personnes, toutes assez bien considérées dans la ville. Le père et la mère d’Emilia voyaient, d’autre part, quelquefois, ces personnes, mais sans soupçonner que c’était des affiliés aux arrière-loges.

Je tiens cette histoire de la bouche d’Emilia elle-même ; elle était devenue Maîtresse Templière, et, à une tenue palladique à laquelle j’assistai et où elle remplissait les fonctions de Chevalière d’Éloquence, elle raconta que c’était