Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 2.djvu/147

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Une physionomie singulière dans ce monde d’occultistes grands amateurs de coups de tam-tam, c’est celle du comte de Larmandie, qui s’intitule « Commandeur de Geburah », est un disciple du sâr Paladan[1], et, comme lui, fait sonner bien haut son « catholicisme ».

Parmi ses ouvrages, un livre le rattache directement à la Rose-Croix sataniste ; il est intitulé Eôraka et est revêtu de l’imprimatur du Sâr, ainsi libellé :

« Le Sâr Péladan, grand-maître du Temple de la Rose-Croix, à son ami et féal comte Léonce de Larmandie, commandeur de Geburah en Tau de Rose-Croix, salut et louange en Jésus seul Dieu et en Pierre seul roi. » Dans cette préface, le sâr Péladan annonce la création d’un tiers-ordre intellectuel «entre le siècle qui pourrit et Rome qui n’ose pas », sous le glorieux symbole de la Rose-Croix, « sali longtemps par le crétinisme franc-maçonnique ». Il y déclare en outre que « rien, dans Eôraka n’est contraire, ni à l’orthodoxie catholique ni à l’orthodoxie magique[2] ».

À l’orthodoxie magique, nous voulons bien le croire ; mais à l’orthodoxie catholique, c’est une autre question. Les quelques citations suivantes suffiront pour éclairer le lecteur sur ce point.

Lui aussi, il veut avoir un prêtre catholique, derrière qui il puisse abriter son ésotérisme prétendu catholique-romain ; ce prêtre est le R. P. Alta, pseudonyme derrière lequel se cache dans l’Étoile, où il écrit, le nom d’un' savant théologien français, prêtre et docteur en Sorbonne, initié aux Arcanes de la Rose-Croix, et l’un des douze grands-maitres actuels de cet Ordre occulte[3]. L’auteur d’Eôraka lui fait aussi hommage de son

  1. Il le reconnait ainsi dans son Oblation ou hommage, qui précède Eôraka (J’ai vu) : « Quand je vous ai connu par votre fresque du Vice Suprême, ce grandiose et terrible jugement dernier qui n’est que le frontispice de votre œuvre, j’ai passionnément voulu vous savoir tout entier. Je vous ai vu (Eôraka), et de ce jour inoubliable a été éclairée toute une portion de mon âme que le doute environnait de sa pénombre. Votre hauteur nous console de la petitesse ambiante, votre Verbe crée pour fous un plan supérieur, une sorte de monde astral où nous pouvons nous abstraire à nos heures tranquilles et boire à pleines coupes l’oubli du monde et le mépris des hommes ».
  2. Péladan avait déjà présenté au public un des nombreux romans que le comte Léonce de Larmandie avait publiés sous ce titre : La Comédie mondaine : Pur-Sang (1889). En le donnant comme un écrivain de la suite de Balzac et de Barbey d’Aurevilly, il disait de son origine : « L’auteur de Pur-Sang est périgourdin ; Jeanne d’Albret signa au mariage d’un ancêtre : le sang des Bourbons s’est mêlé au sien par une double bâtardise : et la devise : Fi de la bretto, dur de lo quéto, témoigne qu’on était traineur d’épée et paillard, comme il venait ». Puis, après avoir cité un passage d’un autre livre du comte : Mes yeux d’enfant, où il raconte son amour passionné, à l’âge de sept ans, pour Mademoiselle Joséphine, il ajoute : « M. de Larmandie nous raconte comment, vers huit ans, il se sacra empereur, fit du régisseur de son grand-père un connétable, du palefrenier un maitre de cavalerie, et nomma lieutenants les métayers. Il raconte l’exécution d’un chien de façon à me donner raison quand je vois en lui l’homme de glaive et d’aventure, le condottière échoué à une table d’écrivain où il écrit les intensités modernes à défaut de vivre les violences du quinzième siècle ». (Un autre chapitre du même livre, intitulé : Victimes humaines, trahit les instincts cruels du futur Rose-Croix.)
  3. C’est, du moins, ce que prétend l’Étoile, organe occultiste, année 1890, page 251 ; mais je n’ai nullement vérifié l’exactitude de cette assertion. Des prêtres qui diabolisent ? il y en a quelques-uns, hélas ! mais jusque parmi nos docteurs en Sorbonne ? cela, je n’ose le croire. « Le R, P, Alta, dit M. de Larmandie, est nourri de la moelle des gnostiques chrétiens. »