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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 2.djvu/297

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— Mon cher, je ne crains plus rien maintenant ; en tout cas, je n’ai rien à craindre aujourd’hui.

— Pourquoi cela donc ?

— Hier, en me couchant, j’ai invoqué Bitru et fait appel à son concours pour notre tenue de ce soir.

— Il est venu ?

— Oui, et il m’a dit que je serais pénétrée de plus puissant que lui.

— Vraiment ?

— Et Bitru ne m’a point trompée.

— Sur le concours de qui comptez-vous ?

— Je n’ai plus à attendre ; je me sens en état de pénétration depuis plus de trois heures.

— Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

— Je le sens, et j’en ai eu des preuves. En dînant, les morceaux que je prenais se volatilisaient en quelque sorte, sitôt entrés dans ma bouche, le vin s’évaporait invisiblement au contact de mes lèvres ; pour tout le monde, je mangeais et buvais ; mais, moi, je sentais bien qu’aucun aliment, solide ou liquide, ne me servait de nourriture. Mes dents mâchaient le vide, et je vous assure que je n’avais pas la berlue ; les mets étaient réellement dans mon assiette, le vin dans mon verre ; cependant, tout s’évanouissait, dès que j’y touchais, sans que personne pût s’en apercevoir. J’aurais pu dévorer un bœuf tout entier, en apparence.

— C’est donc Bitru qui faisait tout disparaître ? insinuai-je, en ayant l’air de la plaisanter.

— Non, ce n’est pas Bitru, c’est le génie plus puissant qui m’a été annoncé.

— Savez-vous qui est-ce ? insistai-je.

Elle se plaça bien en face devant moi, me regardant dans les yeux. Les siens étaient effrayants à voir, quoique l’expression de la physionomie restât calme ; il me semblait voir des flammes, de vraies flammes, au fond de sa prunelle. Puis, la surprise fut plus forte ; je remarquai que ses pieds ne touchaient pas terre. Nous étions arrêtés. Toute mon attention était portée sur elle, et vraiment ses pieds étaient à quelques centimètres du sol ; elle était comme suspendue en l’air.

— Qui est donc en vous ? dis-je fortement.

Raide comme un automate, elle tendit vers moi sa main gauche grande ouverte. Alors, je vis successivement apparaître, sur la peau, en caractères de feu, les dix lettres suivantes : B, A, A, L, Z, É, B, O, U, B.

Elle est, en ce moment, possédée par Belzébuth lui-même, murmurai-je en mon for intérieur.

Une pensée me traversa le cerveau. Il était évident pour moi que le prince de l’orgueil se mettait en frais à mon intention, sans doute dans le but de