Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 2.djvu/45

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des Ravachol, des Meunier, des Vaillant, des Pauwels, des Émile Henry, des Caserio. La légende de l’anarchiste agissait isolément ayant été adroitement mise en cours, l’auteur d’un attentat, qui est toujours un fanatique résolu, sacrifiant sa vie d’avança, — quoique cherchant à s’échapper, pour pouvoir commettre de nouveaux crimes, — a l’abnégation et l’énergie nécessaires, devant les juges, quand il est pris, pour ne compromettre aucun autre compagnon ; on l’a constaté dans les différents procès. À quoi bon dénoncer un complice, du reste ? Ces malheureux égarés ne tiennent pas à leur tête, et ils savent que, coupables d’assassinats horribles, ils ne la sauveraient pas. Il y a entre eux solidarité ; c’est effrayant, mais incontestable.

Dès lors, si, comme cela est possible, Lega n’était pas un isolé, s’il faisait partie d’un groupe, il n’est pas téméraire de penser que quelque haut-maçon, dont la qualité maçonnique était inconnue de ses camarades d’anarchie, ait été l’inspirateur de Lega, l’ait excité, exactement comme Crispi lui-même, alors qu’émissaire de Mazzini et masqué sous le pseudonyme d’« Emanuele Pareda », il apportait des bombes Orsini aux révolutionnaires siciliens et les excitait à assassiner François II ou son directeur de la police ; et si la haute-maçonnerie aujourd’hui à intérêt à cacher son jeu dans les crimes anarchistes, rien ne l’a mieux servi que l’attentat manqué contre Crispi, attentat précédant de huit ou dix jours l’assassinat du président Carnot. Si un haut-maçon a inspiré Paolo Lega, celui-ci a été un compère sans le savoir ; sincèrement il a voulu tuer le ministre, le premier fonctionnaire de la royauté et de la bourgeoisie, et à l’heure fixée, au moment de commettre son forfait, on lui a remis le pistolet justicier, un pistolet chargé à poudre. De bonne foi, il s’est cru assassin ; héroïquement, il a nié avoir eu aucun complice, et l’aveugle instrument du machiavélisme palladiste a été envoyé au bagne.

Il est évident que, si les choses se sont passées ainsi, — et c’est mon sentiment, mais, faute de preuve, je dois rester dans l’hypothèse, — l’attentat manqué de Paolo Lega contre Crispi a été un coup de maître de la haute-maçonnerie.

Huit jours après, ce n’était pas un pistolet à la balle problématique qui était dirigé contre le président Sadi Carnot ; l’arme meurtrière était un solide poignard, manié par une main bien exercée et sûre. Et comment soupçonner le palais Borghèse d’avoir inspiré et ordonné ce crime ? Le Grand Orient de Rome ne s’est pas fait faute d’envoyer sa couronne aux funérailles de l’assassiné du 24 juin… Telles, les fleurs jetées à profusion par les loges sur le cercueil de Gambetta…

De ce que je viens d’écrire là, ne concluez pas à une insinuation de ma part, pour faire croire à une haine de la haute-maçonnerie contre le président Carnot. Non, la victime de Caserio n’était nullement détestée, et pas plus par le palais Borghèse que par Caserio lui-même. L’anarchie, en tuant des