Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poésie des grands souvenirs de l’histoire ; mais Calcutta est la capitale des Anglais ; c’est un bazar oriental, devenu comptoir-office.

Elle est située sur les rives du Bhagirati, auquel les Hindous ont conservé le nom brahmanique de Hougly. Étagée sur les bords du fleuve, la ville montre avec orgueil ses édifices européens, que le vieux sol de l’Inde s’étonne de porter ; des maisons en briques s’alignent dans des rues symétriques, au-dessus desquelles pyramident les pagodes des temples, s’arrondissent les dômes des mosquées, dominant au loin. Au sud, on aperçoit la masse imposante du Fort-William, symbole de la puissance des conquérants.

On n’a pas fait vingt pas dans la cité, que l’on se sent en plein bazar, en plein commerce ; spectacle que l’animation de la rue, la vue du fleuve ou des navires, se pressant, de toutes formes et de toutes dimensions, ne font qu’accentuer, attestant la fiévreuse activité du génie anglais, que rien n’arrête, que rien ne ralentit.

Mais, au sein même de ce mouvement, au milieu de ces splendeurs de la civilisation matérielle, l’homme est averti qu’il se trouve en présence d’une nature ennemie, que tout menace son existence, et que, s’il veut la conserver, chaque instant de sa vie qui est en péril est aussi une lutte. L’air qu’on y respire, chaud et humide, poisseux, suffoque ; l’eau des puits est sulfureuse et saumâtre ; le sol, plat et marécageux, s’affaisse sous le poids des maisons, dont les murs se lézardent et craquent ; et il suffirait d’un caprice du Gange, il suffirait d’un détour de l’Hougly, inclinant vers la droite, pour que la riche cité, pressée de toutes parts dans les bras perfides de ses mille canaux, fût changée tout à coup en une vaste mer, engloutissant sous le niveau de ses vagues l’orgueilleuse insolence des maîtres de l’Inde et la servitude des esclaves conquis.

Par sa situation de siège de l’un des quatre Directoires de la haute maçonnerie, Calcutta est un grand centre sectaire, où affluent et pullulent des membres de tous les rites ; ainsi qu’à Jérusalem les chrétiens de diverses églises se réunissent au Saint-Sépulcre ; ici se coudoient, au grand temple maçonnique ; le Kadosch du rite écossais et le Sublime Maître Choisi du rite de Royale-Arche, le Commandeur de l’Aigle Blanc et Noir du rite d’Hérodom et le Grand Inspecteur Parfait Initié du rite de l’Écossisme philosophique, le Frère Élu du rite johannite dit de Zinnendorf et le Frère de la Croix-Rouge du rite des Illuminés de Swedenborg, le Chevalier de la Ranouka du rite misraïmite et le Souverain Grand Maître ad Vitam du rite de Memphis, le Bon Cousin Grand Maître Carbonaro, chef d’une Haute Vente, et le Mage de la Nouvelle Rose-Croix, le Fakir luciférien et le Sublime et Discret Vengeur de la San-Ho-Hoeï chinoise, le Chevalier Templier du Lessingbund et le Hiérarque du Pal-