Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/120

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Notre guide mit sa main gauche derrière le dos et me prit la main droite, m’invitant à le suivre en donnant de même ma main gauche au frère Cresponi. J’étais donc entre mes deux introducteurs, à leur merci, puisque mes deux mains étaient tenues ; nous nous glissions ainsi tous trois dans ce souterrain, au milieu des plus épaisses ténèbres. Que ces deux hommes eussent soupçonné que je m’étais mêlé à eux uniquement pour surprendre leurs abominables secrets, et j’étais perdu.

C’est par des couloirs taillés dans le roc que ces sept temples communiquent entre eux ; mais celui qui conduit au premier temple est seul étroit et obscur ; les autres sont larges et éclairés par une quantité considérable de lampions à l’huile de coco, qui y dégagent, il est vrai, une fumée atroce, laquelle s’échappe tant bien que mal en suivant les courants d’air.

Quand nous fûmes parvenus dans la pièce spacieuse qui sert de vestibule au premier temple, mes deux conducteurs me lâchèrent les mains et je respirai, ma foi, avec satisfaction. Cette salle de pas-perdus ne manquait pas de lumières. De nombreux adeptes s’y trouvaient déjà, indigènes, colons et voyageurs, allant et venant, causant par groupes. Cresponi fut salué avec respect par tous, quant à moi, j’étais le point de mire de tous les regards. En dehors des Indiens et des voyageurs, il y avait là, je le sus plus tard, un notaire, des marchands de thé, un notable verrier et fabricant de porcelaine, des négociants en articles européens, deux ou trois agents d’assurances ou d’émigration, un fabricant d’huiles, un banquier, un pasteur presbytérien, un dentiste, un filateur de coton, des courtiers de navires, un constructeur, un raffineur de sucre, trois pharmaciens, un grand fabricant de papier, deux ingénieurs mécaniciens, un riche tanneur, le directeur d’une manufacture de toiles à sacs, bref, toute espèce de commerçants et industriels de Calcutta, et de nombreux officiers anglais.

Cresponi s’empressa de dire à la ronde que j’étais un haut dignitaire du rite de Memphis, que j’avais déjà fréquenté les fakirs de Galle et de Pondichéry, et que, pour être parfait, il ne me manquait plus que l’affiliation au palladisme ; toutes les mains se tendirent aussitôt vers moi.

Un frère maître des cérémonies me demanda si je persistais à prendre part, à titre de visiteur, à la solennité palladique qui allait avoir lieu. Je répondis affirmativement.

— Je dois vous prévenir, mon très cher frère, me dit-il, que nous n’admettons parmi nous que des frères affiliés à des rites théurgistes ; et quand, par une faveur tout exceptionnelle et avec l’autorisation expresse d’un chef suprême du Palladium, nous ouvrons nos temples à un frère pourvu au moins d’un haut grade cabalistique, ce qui est votre cas,