Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/122

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terre le serpent fraîchement tué, comme pour faire une trace venant jusqu’à moi ; puis, avec un couteau, il dépeça le reptile et me frictionna le corps avec cette chair immonde et sanglante. Je ne comprenais guère ce qui se préparait. Enfin, le frère Hobbs renferma les restes du reptile dans le panier, un Indien l’emporta, et lui-même remonta à l’orient.

C’était le moment de l’épreuve.

Le messager interrompit tout à coup l’agitation tapageuse de ses grelots, et en même temps les Indiens juchés dans les niches commencèrent, doucement d’abord, la musique de leurs flûtes de charmeurs.

De diverses fentes qui crevassaient la petite muraille de l’arène, je vis, en peu de secondes, sortir des têtes de serpents. Bientôt, ils se répandirent, en rampant, sur le sol ; et, quand ils arrivèrent aux endroits que le frère Hobbs avait frottés, à l’instant, ils se redressèrent furieux, puis se traînant sur cette piste, la sentant, sifflant avec rage, le cou gonflé, ils se dirigeaient vers moi. C’étaient des cobras-capellos, les plus venimeux des ophidiens, dont la morsure tue en une demi-heure à peine. En moins d’un quart de minute, les affreux reptiles s’étaient élancés sur moi, m’enlaçaient, le long des jambes, des bras, du corps. La musique des charmeurs avait élevé le ton, et seules ces modulations étranges calmaient la fureur des cobras. J’étais littéralement couvert de serpents. J’en avais qui, se cramponnant à moi par leurs derniers anneaux et repliant le haut du corps en arrière, retroussaient leur tête vers mon visage et dardaient sur mes yeux leur horrible regard. Leur odeur musquée me faisait mal au cœur, et mes cheveux se dressaient sur ma tête.

Cependant, la musique des charmeurs augmentait de plus en plus de force ; elle retenait les hideux reptiles. Je me gardai bien, comme on pense, de faire le moindre mouvement. Deux ou trois cobras, sortis de leurs trous après les autres, et n’ayant pas flairé la trace, avaient été sur le point de s’élancer sur le messager ; mais il avait suffi à celui-ci d’agiter par quelques coups ses grelots pour les détourner de lui, et ils étaient venus grossir la masse grouillante qui m’enlaçait.

Je ne songeais aucunement aux assistants, assis sur les gradins ou à l’orient. Je pensais aux Indiens des niches, qui tenaient ma vie entre leurs mains. Si leur musique s’arrêtait, c’était pour moi la mort ; à la seconde même, j’eusse été mordu par une cinquantaine de cobras.

Soudain, j’entendis une voix, celle de Philéas Walder, qui se tenait debout, en face de moi, le coude appuyé sur l’autel du Baphomet.

— Frère messager, dit-il, dessaisis-toi.

Le messager me passa sa baguette de coudrier, en glissant son extrémité non fourchue dans ma main ; il fit cela de façon à m’éviter d’avoir à remuer le bras.