Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/174

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secte luciférienne, mais bien chez des satanistes ; et, entre ces deux genres d’adorateurs du démon, il existe une nuance qu’il convient de ne point perdre de vue.

Pomerantseff et ses amis étaient réunis au nombre de douze, ainsi qu’on vient de le voir ; or, les lucifériens n’opèrent jamais qu’à onze (parmi lesquels, sept d’entre eux ayant le grade de Hiérarque) ou dans une quantité formant un nombre multiple de onze ; c’est là une règle absolue ; le nombre cabalistique de onze est rigoureux, non seulement pour les séances d’évocations, mais même pour les tenues ordinaires palladiques. Si un initié se présente en retard à. un triangle et veut assister à la réunion, il lui faut attendre, dans la salle des pas-perdus qui précède le temple, l’arrivée de dix autres initiés également en retard ; ou, sinon, il n’a qu’à se retirer, à moins seulement d’être Mage Élu ou Hiérarque ; dans ce cas, le couvreur du triangle (gardien placé extérieurement à la porte de la salle) transmet au grand-maître le nom du visiteur privilégié retardataire, qui réclame l’entrée ; la séance est suspendue, et le sort désigne, parmi les Kadosch du Palladium (degré inférieur du rite), le frère qui doit couvrir le temple (quitter la salle) pour faire place à l’initié d’un des deux degrés supérieurs, cela afin que l’assistance soit toujours en nombre multiple de onze.

Une autre preuve de ce que l’abbé Girod avait pénétré chez des satanistes, et non chez des lucifériens, résulte des formules employées pour l’évocation du prince des ténèbres. Jamais les lucifériens n’appellent leur maître infernal « esprit du mal » ou « père et créateur du crime », jamais, jamais ! J’aurai l’occasion de reproduire plus loin une « encyclique » du grand chef suprême Albert Pike, laquelle ne laisse aucun doute à cet égard et interdit même de se servir du mot Satan en n’importe quelle circonstance.

Il y a, en effet, une différence notable, qui a son importance dans l’étude de l’occultisme, entre les satanistes et les lucifériens. Les premiers, dont M. Huysmans s’est spécialement occupé dans son livre au sujet duquel j’ai déjà dit un mot, sont, avant tout, des détraqués, des hystériques d’une espèce particulière, qui, accusant le Dieu des chrétiens d’avoir trahi la cause de l’humanité, recourent, comme en désespoir de cause, à l’archange déchu, et font, dans des accès de véritable folie, pacte avec Satan et ses démons, reconnaissant néanmoins à ceux-ci une situation subalterne et réprouvée dans l’ordre surnaturel. Au contraire, les lucifériens du Palladium Réformé Nouveau ou des rites similaires, tout en étant en proie à une aberration étrange, agissent froidement, délibérément, et, déifiant Lucifer, ils le considèrent comme le Principe du Bien et l’égal du Dieu des chrétiens, appelé par eux Principe du Mal.