Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/223

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Il frappa un second coup de maillet, et il se leva, ainsi que la grande-maîtresse.

Tout le monde se mit à genoux. Le grand-maître et la grande-maîtresse, tournant le dos à l’assemblée, s’agenouillèrent sur la première marche de l’autel du Palladium. La grande-maîtresse, alors, les mains étendues vers le Baphomet, dit à haute voix l’Oraison à Lucifer[1].

La grande-maîtresse. — « Viens, Lucifer, viens ! ô le calomnié des prêtres et des rois ! Viens, que nous t’embrassions, que nous te serrions sur notre poitrine ! Il y a longtemps que nous te connaissons et que tu nous connais aussi. Tes œuvres, ô le béni de notre cœur, ne sont pas toujours belles et bonnes, aux yeux du vulgaire ignorant ; mais elles seules donnent un sens à l’univers et l’empêchent d’être absurde. Toi seul animes et fécondes le travail. Tu ennoblis la richesse ; tu sers d’essence à l’autorité ; tu mets le sceau à la vertu… Et toi, Adonaï, dieu maudit, retire-toi, nous te renions. Le premier devoir de l’homme intelligent et libre est de le chasser de son esprit et de sa conscience ; car tu es essentiellement hostile à notre nature, et nous ne relevons aucunement de ton autorité. Nous arrivons à la science malgré toi, au bien-être malgré toi, à la société malgré toi ; chacun de nos progrès est une victoire, dans laquelle nous écrasons ta divinité. Esprit menteur, dieu imbécile, ton règne est fini ; cherche parmi les bêtes d’autres victimes. Maintenant, te voilà détrôné et brisé. Ton nom, si longtemps le dernier mot du savant, la sanction du juge, la force du prince, l’espoir du pauvre, le refuge du coupable repentant, eh bien, ce nom incommunicable, Adonaï, désormais voué au mépris et à l’anathème, sera conspué parmi les hommes ! car Adonaï, c’est sottise et lâcheté ; Adonaï, c’est hypocrisie et mensonge ; Adonaï, c’est tyrannie et misère ; Adonaï, c’est le mal… Tant que l’humanité s’inclinera devant ton autel, l’humanité, esclave des rois et des prêtres, sera réprouvée ; tant qu’un homme, à ton nom exécrable, recevra le serment d’un autre homme, la société sera fondée sur le parjure, la paix et l’amour seront bannis d’entre les humains… Adonaï, retire-toi ! car aujourd’hui, guéris de ta crainte et devenus sages, nous jurons, la main élevée vers ton ciel, que tu n’es que le bourreau de notre raison et le spectre de notre conscience ! »

Mistress Vandriel avait prononcé d’une voix forte les imprécations qui forment la seconde partie de l’oraison satanique.

  1. Plusieurs auteurs and-maçonniques ont reproduit cette prière satanique, et l’ont attribuée à Proudhon. Il y a là une légère erreur. Cette oraison est une adaptation, imaginée par le vicomte de La Jonquière, grand chef maçon et occultiste, qui prit dans un ouvrage irréligieux de Proudhon divers passages ayant le caractère d’une imprécation contre Dieu ; il substitua le mot Adonaï au mot Dieu employé par Proudhon, fit quelques retouches, et produisit ainsi la fameuse prière qui est restée à la mode dans les arrière-loges lucifériennes.