Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux de ses compagnons, après quelques préambules, auxquels l’enfant ne comprit rien. Il ne savait pas alors ce que c’était qu’un duel. Les deux individus qui s’étaient armés, avaient quitté manteau et habit, dévêtus ainsi jusqu’à la ceinture ; puis ils s’alignèrent, croisant le fer, attendant un signal. Les quatre autres ne s’éloignèrent pas des combattants ; il y en avait même deux qui s’étaient assez rapprochés d’un des adversaires ; ils semblaient être ses amis, car ils lui avaient serré la main avant la distribution des épées et étaient descendus de la même voiture que lui. Tout à coup, ils se jetèrent sur lui, chacun lui prenant un bras. En vain, il essaya de lutter contre eux, ils lui arrachèrent son arme, et deux autres, se joignant à eux, le maintinrent. L’homme désarmé criait, avec un vif désespoir, mêlé de colère.

— Tu peux crier, dit celui qui avait gardé son épée ; personne ici ne t’entendre… Nous te tenons enfin à notre merci… Tu vas mourir…

— C’est un assassinat, hurlait l’autre ; vous m’avez trompé ; vous êtes des scélérats !…

— Le scélérat, c’est toi ! lui répondait-on. Nous savons que depuis trois mois tu nous trahis. Tu t’es vendu à Ferdinand !…

Alors, pendant qu’à quatre ils tenaient le combattant désarmé, le cinquième lui plongea son épée dans la poitrine. Un dernier cri de la victime, en tombant, et ce fut tout. On le ramassa ; on l’emporta ; on le mit dans la voiture qui l’avait amené, et les assassins, fouettant leurs chevaux, s’éloignèrent.

Le jeune Carbuccia avait tremblé, en assistant à cette scène, dont il ne perdit pas un détail ; mais il s’était bien gardé de faire le moindre mouvement qui eût révélé sa présence. Il ne descendit de son arbre, que lorsque les hommes furent bien loin.

En rentrant à la maison, il narra à son père ce qu’il avait vu. Celui-ci lui défendit de jamais en parler à quiconque. Le lendemain, à Maddaloni, on ne causait que d’un duel qui avait eu lieu, parait-il, au val de Gargano, entre des gens de Caserte, duel où l’un des deux adversaires avait succombé. Le père Carbuccia recommanda plus sévèrement que jamais à Gaëtano de taire ce qu’il savait.

— Si tu parlais, dit-il, tu nous ferais arriver un malheur.

L’enfant demeura muet ; mais il avait gardé, profondément gravés dans sa mémoire, les traits de l’homme dont l’épée de duelliste avait été une arme d’assassin. Deux ans après, il rencontra l’homme à Caserte ; il le reconnut bien. Plus tard, il le rencontra encore, à plusieurs reprises. Il ne dit jamais rien à personne ; mais il finit par savoir qui était ce meurtrier ; c’était un libéral, un adversaire du roi de Naples ; on le soupçonnait d’être un conspirateur.