Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/287

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dans une petite boite en or ; il la tint quelques instants au-dessus du réservoir d’eau ; le vent mugit, comme si nous eussions été en pleine campagne ; mais l’eau ne se troubla point. En vain, tous les Chinois criaient-ils, pleins de rage : « Taï-phoun ! taï-phoun ! » Le typhon ne régnait que pour nous, ronflant sous les voûtes du temple qui frémissaient, tandis que les murs semblaient osciller, prêts à s’effondrer et à nous engloutir ; des voix hurlaient, des sifflements s’entendaient comme à travers les cordages et la mature d’un vaisseau ; nous avions l’impression exacte d’un ouragan de mer, épouvantable, formidable, avec toutes ses rafales terribles, nous fouettant la figure, nous entraînant. Nous nous sentions emportés dans la tourmente affreuse, et nous nous tenions cramponnés les uns aux autres ; il faisait un froid de loup ; nos collets relevés, et toujours maintenant nos coiffures bien assujetties sur nos têtes, nous grelottions littéralement. Mais, toujours aussi, l’eau de la vasque était sans une ride, et, sur sa surface, polie comme un miroir, le microscopique navire continuait paisiblement sa route à peine perceptible à nos yeux.

Alors, un cri effrayant, qui n’avait rien d’humain, se fit entendre, dominant le tumulte de la tempête :

Elaï zerba-ël.

D’où venait ce cri ? Personne ne put s’en rendre compte ; cela venait de partout et de nulle part. En même temps, l’ouragan cessa subitement, et le paquebot minuscule disparut.

— Le Dieu-diable est dans un de ses jours de victoire, aujourd’hui, dit mélancoliquement le grand-sage ; la légion des mauvais esprits protège contre nous les missionnaires de Yé-Su. Sachons prendre patience ; notre vengeance n’en sera que plus terrible. Oui, frères, puisque nous ne pouvons rien, quant à présent, contre ces prêtres maudits, il ne nous reste qu’à les attendre et à nous préparer à l’œuvre sainte des supplices vengeurs. C’est ce que nous allons faire.



Nous passâmes dans une seconde salle, où se trouvait encore un Dragon-Baphomet sur un autel à l’orient. Ce qui distinguait ce nouveau temple, dont la décoration était dans le même genre que celle de l’autre, c’était une vaste estrade dressée à l’occident et disposée en forme de tribunal.

Tout d’abord, trois frères servants, qui étaient sortis un peu avant nous de la première salle, allèrent par une porte latérale à un troisième appartement, qui devait être une sorte de sacristie servant à remiser les monstrueux accessoires du culte infâme auquel j’assistais. Ils revinrent bientôt de là, traînant après eux quelque chose d’informe et de lourd,