Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/306

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À cet instant, je ne vis plus rien, je n’entendis plus rien ; mais j’eus la sensation d’être transporté sur un siège et d’être soutenu, une fois assis. La lacune qui existe dans mes souvenirs doit être bien courte ; car, lorsque je revins à moi, par l’effet des sels qu’on me fit respirer, la séance n’était point terminée et je n’avais pas été porté hors du temple.

— Eh bien, est-ce passé ? me demandait un des Chinois, auprès de moi.

— Ce n’est rien, répondis-je ; un simple éblouissement ; maintenant, c’est fini. Je vais très bien ; merci.

À l’orient, au pied de l’autel, on avait déposé le corps du frère Yéo-hwa-tseu étendu devant le billot, les mains et le pied coupés placés sur le corps ; la tête était sur le billot, ornée d’une couronne de roses artificielles.

À quelque distance, en face de l’orient et au milieu de l’assemblée, un frère de la San-ho-hoeï, anglais, était installé à un appareil de photographie et prenait une vue du cadavre décapité et mutilé. Au Rite Céleste, on photographie toujours de la sorte les sacrifices du sang ou holocaustes à Tcheun-Young (Lucifer), ainsi que les exécutions de faux-frères. Ces photographies sont conservées précieusement comme documents aux archives des principaux temples secrets de la San-ho-hoeï.

Je vis encore les servants offrir le breuvage d’honneur aux deux frères visiteurs qui avaient assisté comme moi à la séance. Ils burent, comme je l’avais fait. Soudain, une torpeur irrésistible m’envahit ; mes yeux se fermèrent de nouveau, quelques efforts que je fissent pour vaincre ce sommeil brusque, inattendu… et je me réveillai, cette fois, dans l’opium-shop.


Les faits que je viens de relater jusqu’à présent sont tellement extraordinaires, qu’ils rencontreront forcément des incrédules. La grande objection qu’on fera consistera à dire que je n’ai rien vu de ce que je raconte et que j’ai pris pour la réalité des chimères qui ont cauchemardé mon ivresse d’opium.

J’ai déjà réfuté cette objection, en citant l’argument que je tire des peintures murales du temple de Tong-Ka-Dou. Ces peintures, si je ne les avais pas réellement vues, comment aurais-je pu, plusieurs années après, en reconnaître très exactement la photographie, à la bibliothèque maçonnique des frères du Royal-Arche à Hong-Kong ?

Mais voici d’autres arguments encore :

À la fumerie d’opium, je m’étais couché à la sixième place à gauche en entrant ; or, je me suis réveillé à la quatorzième place à droite. Les boys de l’opium-shop n’avaient aucune raison de me porter d’une place à une