Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/515

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diable qui, à travers les lucarnes armées de canons, guette et surveille l’Europe et l’Afrique, le continent blanc et le continent noir.

Gibraltar est, on peut le dire, une sorte de phare, de belvédère, une lanterne, un observatoire pour le diable ; c’est ce que les faits vont d’ailleurs surabondamment nous démontrer.

Un mot d’abord sur la ville elle-même. Elle est bâtie à flanc de rocher, circulairement, en amphithéâtre sur le côté ouest du massif granitique. Une rue la traverse de bout en bout ; les autres rues sont des ruelles, des cloaques, au bord desquels des maisons petites s’élèvent, des mesures de plâtres, aux façades lézardées, d’aspect minable, hiéroglyphes faciles à déchiffrer qui racontent de tristes et lugubres histoires vécues, puis disparues. Là, souffle en permanence le vent de la fièvre, qui passe cueillant ses victimes au hasard ; là, les articulations se gonflent, et l’eau tend à jaillir chez l’homme sous la peau. Ce rocher aride suinte la misère et la mort sèche, tandis que le malade suinte l’eau. Pas un monument, pas un édifice, rien de saillant : des tavernes seulement, envahies par les soldats et les matelots, pullulent ; avec l’Anglais, l’ivresse ignoble a pénétré partout. Ceux que la fièvre épargne, le gin et le wisky les emportent, saoûlés, abrutis ; aussi la mortalité est-elle énorme, dans ce coin où grouillent 18,000 gens de toutes races et 6,000 garnisaires au moins.

Quant au rocher lui-même, il forme une masse de quatre kilomètres et demi de longueur sur deux kilomètres de large, qui serait complétement isolée du continent si la mer n’apportait constamment du sable formant une plage reliant Gibraltar à l’Espagne. La forme du rocher est oblongue ; les extrémités nord et sud sont plus élevées que le centre. Gibraltar se compose, en réalité, de trois massifs, dont le plus haut est celui qu’on appelle le « Pain-de-Sucre » et dont l’altitude atteint 489 mètres au dessus du niveau de la mer.

Le rocher, disposé ainsi, se profile, tournant le dos à la Méditerranée, complètement escarpé et recouvert, aux deux tiers, de sables que le veut y accumule. Cette face sur la Méditerranée est une véritable muraille cyclopéenne, au bas de laquelle s’ouvrent plusieurs grottes, qui sont pour les touristes une des plus puissantes attractions de Gibraltar ; il est une de ces grottes qui va bientôt intéresser tout particulièrement le lecteur. Sur un autre côté, se trouve la ville, décrite plus haut. La face du rocher qui regarde l’Espagne est tout à fait à pic et absolument inaccessible. Quant à la pointe, vers le détroit, elle dégringole en pente très rapide depuis le sommet du Pain-de-Sucre jusqu’à un premier plateau, dit du « Moulin-à-Vent », haut de 122 mètres, lequel forme une demi-ovale bordée de précipices et domine un deuxième plateau, dit « Terrasse-d’Europe », dont le pied est baigné par la mer.