Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/526

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Et après ?

— En me quittant, il me dit : « C’est bien entendu, dans deux heures, je serai de retour. » Puis, il éclata de rire, en ajoutant : « Je vais voir la Chambre du Milieu. » Je n’avais jamais entendu parler de cette chambre, ou du moins je n’en connaissais aucune de ce nom, et je sais à peu près tous les noms des diverses salles de la grotte… Deux heures, trois heures se passèrent, monsieur… Mon touriste ne revenait pas… Je m’inquiétai ; j’allai à sa recherche ; je visitai toutes les chambres possibles ; je l’appelai vainement, me penchant sur tous les trous, sur tous les gouffres que je rencontrai… Peine perdue !… Je l’attendis encore jusqu’à la nuit… En m’en allant, je laissai l’échelle, à tout hasard, et une torche allumée, auprès… Le lendemain, je revins dès la première heure, avec des cordes à nœuds, des grappins, et je me fis accompagner d’un camarade. À nous deux, nous recommençâmes les recherches… Enfin, dans un des gouffres où nous descendîmes, un spectacle affreux s’offrit à notre vue… Mon jeune homme gisait au fond, brisé par la chute, étendu mort sur un rocher ; nous descendîmes encore et nous mîmes pied à terre… Il n’était pas tombé là par accident, monsieur. Sa poitrine était transpercée d’au moins vingt coups d’épée ou de baïonnette, je ne sais au juste. Il avait été assassiné, et on l’avait jeté ensuite dans le précipice… Assassiné, mais par qui, puisqu’il n’y avait pas eu d’autres touristes dans les grottes ce jour-là ?… Mon camarade me dit : « Il doit y avoir quelque part une communication secrète entre les grottes et la forteresse ; ces bruits que l’on entend semblent indiquer un arsenal, où ces maudits anglais doivent fabriquer leurs armes, leurs fusils, leurs munitions. Ce garçon a dû s’aventurer par là ; il aura été pris pour un espion et massacré, séance tenante. Crois-moi, ne disons mot de cette affaire ; sans quoi, l’on nous retirerait notre permis de résidence, et peut être même nous massacrerait-on à notre tour… » Je suivis son conseil, et jamais je n’ai parlé de l’aventure. Personne, à Gibraltar, ne s’inquiète de la disparition de ce touriste, qui n’était pas descendu dans un hôtel, mais qui avait simplement quitté son bateau faisant escale, pour venir faire sa malheureuse exploration des grottes… C’est aujourd’hui la première fois, monsieur, que j’ouvre la bouche à ce sujet, et je vous ai raconté l’histoire de ce meurtre, parce que, d’après la route que je vous vois prendre et l’ordre d’attendre que vous me donnez, j’ai grand’peur qu’un malheur semblable ne vous arrive…

— Merci du renseignement, mon ami, répliquai-je, et merci surtout pour l’intérêt que vous me portez… Mais soyez sans crainte ni souci ; dans deux heures environ, mettons trois heures au maximum, je serai de retour à cette même place.