Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/540

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tuent leurs mérites. Augmentation de salaire ne veut pas dire « monter en grade », comme dans la maçonnerie ordinaire ; ici, cela signifie : « augmentation des rations d’alcool ». C’est dans l’orgie, en effet, dans la crapuleuse orgie, qu’ils recherchent le bien-être et la volupté.

Tous ceux dont le salaire est augmenté (l’augmentation est valable pour trois septaines) ont, en outre, au cours de l’année qui suit la troisième semaine, une nuit libre pour aller au sabbat ; un sabbat spécial, que maître Joë m’a décrit et qui est épouvantable à raconter. Comme à Dappah, près de Calcutta, par une nuit d’ouragan, une de ces nuits où ciel, terre et mer se confondent au milieu des éclairs, où Gibraltar tremble sur sa base, où des paquets de la mer monstrueuse montent en grondent et inondant de leur écume les premières cavernes des grottes San-Miguel et autres, par une de ces nuits où tout est chaos et abomination, les forbans sortent et se déchaînent. À la lueur des éclats de la foudre, on les aperçoit bondissant de roche en roche, traversant les embruns, le bidon d’alcool en main. Ils chantent, crient, vocifèrent et boivent, puis se réunissent en un lieu, dit « le cimetière des Maures », où reposent les corps des infidèles tués dans différents assauts. Alors, ils les appellent, les évoquent, les incantent, bavant l’alcool, suant le crime, et une sarabande infernale a lieu, au cours de laquelle ils semblent ne pas toucher terre ; on dirait des guirlandes humaines, des cercles d’individus se tenant par les mains, tournoyant au milieu des nuages, à travers les trombes de pluie et les éclairs.

Et la sentinelle anglaise, du sommet du Pain-de-Sucre, assiste, épouvantée, à cette scène d’orage et de diabolisme, à ce débordement de la nature et de l’enfer, croyant à une hallucination de ses sens, ne pouvant croire à la réalité de ce qu’elle voit, tant cela est effroyable, et n’osant même en faire le lendemain le récit à ses chefs ni à ses camarades, de crainte qu’on ne se moque d’elle ou qu’on ne la punisse sévèrement.

Puis, au jour, tout s’arrête, à travers les derniers grondements du tonnerre, les dernières averses de pluie, ces hommes-démons rentrent dans leurs repaires, pour s’endormir d’un sommeil lourd et pénible d’alcool, peuplé de rêves sataniques.

Telles sont les voluptés terrestres que Lucifer accorde à ses élus de la plus basse classe ; et, pour qu’ils y tiennent tant, pour qu’ils soient si enragés à demander l’augmentation de salaire, il faut bien que ce soient les dernières des brutes, des hommes sur le seuil de l’animalité et de l’enfer.

Tandis que je les regarde encore, deux ouvriers apportent une grande urne en bronze, de forme antique, mais avec des emblèmes lucifériens ; on la pose devant moi. Cette urne contient, inscrits sur des jetons en