Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/544

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rance des véritables faits, et elle est admise sans contrôle. Les bonnes gens disent que ce sont les singes, dont ce coin de rocher est infesté, qui se battent entre eux à coups de pierres. Et les macaques rient toujours, comme s’ils étaient complices du diable en leur qualité d’animaux, mais bien trop malins au fond, et pas assez bêtes ou pas assez hommes pour se battre ainsi entre eux.

Remarquons encore autre chose ; et ceci est un fait de notoriété universelle, que du reste tous les écrivains naturalistes ont constaté et signalé. Aussi loin que la vue s’étend, dans tous les coins et recoins, dans toutes les anfractuosités du rocher, des plantes sourdent et poussent. Et quelles sont ces plantes ? des plantes médicales vireuses et toxiques, des solanées, des renonculacées, des papavéracées principalement. Il y a là rassemblées, sur ce point, minuscule eu égard à la surface du globe, des milliers et des milliers d’espèces diverses, d’infinies variétés ; au dessous d’elles, dans le peu de sable ou d’humus sur lequel elles poussent, jusqu’au milieu même des fentes obscures et noires du roc, se rencontrent des lichens, des conferves et des champignons vénéneux ; toute une cryptogamie et une phanérogamie diabolique, en un mot.

Et, dans cette oasis vraiment luciférienne, la vie animale pullule, représentée par des scorpions blancs et noirs et des centipèdes plus venimeux encore. De ci, delà, un vautour, un pigeon sauvage, un épervier, quelque aigle, fatigués, se posent ; mais ils se sauvent aussi et, apeurés, dans un grand coup d’aile, poussant à travers l’espace un long cri rauque d’effroi, dont frémissent un instant les échos.

C’est un autre coin de Gibraltar, et d’une autre physionomie, on le voit.

D’où vient toute cette florescence inattendue en cet endroit, et dont on ne retrouve l’exemple, en de telles conditions, en aucun autre lieu du monde ?… N’est-ce pas, bien évidemment, de la proximité des suppôts de Satan, des graines toxiques qui se sont envolées de cet antre à poisons, inconnu jusqu’à ce jour, mais qui se révèle a qui sait comprendre et expliquer ?

Antre inconnu, ai-je dit ?… Oh ! pas tant que cela, certes. Le mot exact est : volontairement inaperçu… Car nous sommes ici à deux pas des sentinelles anglaises, sous les premières galeries de défense creusées dans le roc, et, sur notre tête même, surplombe la gueule d’un canon.

On le voit, si l’Anglais partout ouvre la gueule et montre les dents, ici il ferme du moins les yeux !…

Mais Joë Crocksonn m’invite à rentrer dans le rocher, par une étroite ouverture ménagée a l’autre bout de la bordure supérieure du semi-entonnoir. C’est une nouvelle galerie dans laquelle nous nous engageons, celle-ci en escalier rapide, taillée dans la pierre, à l’intérieur ; il est,