Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/548

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détrompez-vous, ce n’est pas la peur du crime, mais la crainte de donner à nombre de ses adeptes, ayant des tendances à exagérer leur zèle diabolique, un trop facile moyen de s’amuser bêtement, si l’on peut dire, et de donner l’éveil par la multiplicité des épidémies qu’elle provoquerait ainsi.

Et puis, il est bon de l’ajouter, elle sait que ce procédé est aléatoire, dans bien des cas particuliers. Les empoisonneurs, dont Gibraltar abrite le repaire, sont loin d’ignorer qu’il ne suffirait pas à un homme d’avaler une culture (même pure) de microbes de telle ou telle maladie, pour la contracter sûrement, et, en tout cas, l’ayant contractée, pour en mourir : ils savent qu’une première atteinte vaccine, donne l’immunité ; on a exceptionnellement deux fois la fièvre typhoïde ou le choléra ; l’homme, dès lors, leur échappe et s’en rit. Il suffit aussi d’un léger degré d’acidité digestive, de quelques gouttes d’acide chlorhydrique dans un verre d’eau, pour annihiler du coup l’action de la culture, la stériliser, la rendre parfaitement inoffensive.

En réalité, la maçonnerie du crime tâtonne encore dans la mise à exécution de ses projets scélérats. Satan a beau, fanfaron infernal, prophétiser dans les triangles, par les esprits qui y apparaissent ou par l’intermédiaire de ses Vocates Élus ; il trompe audacieusement ses fidèles, et ses hésitations dans la voie où il a engagé la toxicologie sectaire le prouvent ; il sait fort bien, au fond, malgré son orgueil de révolté, que l’avenir appartient à Dieu et à Dieu seul.

À ma sortie du laboratoire, je fus accompagné, non seulement par maître Joë, mais aussi par Athoïm-Olélath, personnage indéchiffrable, énigme vivante ; Crocksonn lui-même n’a pas su me dire quelle individualité existe sous ce pseudonyme formé de deux noms de lettres magiques.

L’Athoïm-Oléleth actuel a le type oriental mâtiné d’européen ; il parle toutes les langues ; il est d’une intelligence hors ligne ; il ne sort jamais des cavernes mystérieuses, où il circule dans un accoutrement qui participe à la fois du costume turc et du costume indien ; ses sous-ordres ne l’ont jamais eu parmi eux au réfectoire, et Crocksonn m’a affirmé qu’on n’a jamais vu un servant quelconque lui monter à manger dans son appartement réservé : enfin, toujours jeune, gardant l’apparence du même âge (entre trente et trente-cinq ans), ne vieillissant pas, ne prenant pas une ride, il est là cependant depuis la fondation du laboratoire ; tous passent, sont libérés ou meurent ; lui seul reste, réfractaire aux plus légères maladies. Est-ce un homme ? est-ce un démon ? C’est là un problème qu’il me fut alors impossible de résoudre.

Je rencontrai encore le frère Sandeman, entre les mains de qui je fus