Aller au contenu

Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/612

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Eh bien, c’est précisément cette seconde partie qui présente une particularité bien curieuse à dire. Le fils et le petit-fils de cet étranger arrivé là nu et cru, au lieu de s’en glorifier, au lieu de saluer bas ses ancêtres, en disait : « Eh oui, c’est à force de probité et de travail que nos pères ont conquis ici droit de cité ; ce pays, ce sont eux qui l’ont en définitive fait ce qu’il est », rougissent et ont honte de cette origine étrangère ; enflés d’un sot et vain orgueil, ces espèces de rastaquouères, hybrides de toutes les races, se drapent avec fierté dans ce fait qu’ils sont, eux, nés dans le pays : hijo dal paiz, comme ils disent ; ils sont, eux, fils du pays, plus simplement portenios. Il faut les entendre prononcer ces mots dont ils ont plein la bouche, dressés, sur leurs ergots de petits bonshommes de coqs, à la peau noire ou jaune, jus de réglisse ; et quelle colère risible, quand on en sourit seulement !

Ah ! il ne fait pas bon, là-bas, ne pas s’incliner et ne pas prendre au sérieux ces pains d’épice ; car ils ont le poignet leste, et ils sont orgueilleux et hautains, comme d’ailleurs, sur notre boulevard parisien, ces rastaquouères aux chaînes étincelantes, aux doigts surchargés de bagues et qui portent beau jusqu’au jour où la police leur met la main au collet.

Mais là-bas, dame, ils sont chez eux, peuvent tout se permettre, et ont toutes les audaces. Leur sans-gêne est absolument inouï. Les formalités auxquelles ils soumettent nos bâtiments, les salamalecs qu’il faut leur faire est inimaginable. Dans toute cette région, de Bahia à Rosario, en passant par Pernambucco, Rio-de-Janeiro, du nord au sud, en un mot, il faut les saluer, les aduler, les prendre très au sérieux, et, par-dessus le marché, les nourrir.

À peine un bâtiment arrive-t-il, qu’il est aussitôt envahi sous prétexte de douanes, de police, de santé, de statistique, de port, que sais-je ? Une armée de sauterelles vous assiège, pour lesquelles il faut tenir table ouverte nuit et jour.

Puis, ce sont des vexations de toute nature, des allées et des venues, des visites en armes à bord (ce qui est absolument contraire au droit commun international) sous prétexte de contrebande, et qui finissent toujours par une tournée à la cambuse, dont la bande sort les poches et le gésier pleins.

Un bien joli monde, on le voit, que ces fils du pays, et le joli titre de gloire que d’être né là !

Mais qu’y faire ? Lorsqu’un bâtiment trop houspillé ou trop volé se plaint, le consul se bouche les oreilles ; et lorsqu’un commandant peu patient met une bonne fois pour toutes le pied au derrière de ces fils du pays, empanachés et morts de faim, et les flanque à la porte de son bord, ce sont alors des cris de putois qu’on écorche ou d’orfraie qu’on plume,