Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/678

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dont j’ai déjà donné des aperçus au lecteur. Le bâtiment longe la côte du golfe de Bengale ; nous approchons de Djagghernaath, et à toute vue déjà nous apercevons ses tours massives surmontées de pyramides de soixante-dix mètres de haut, en granit rouge. C’est bien là le premier aspect du plus célèbre des établissements de la religion païenne de l’Inde.

Au fur et à mesure que nous approchons, la vue se dégage ; et, à peine à terre, nous saisissons les proportions colossales de l’ensemble.

Le temple principal, qui a, avec sa pyramide, environ cent-vingt-mètres d’élévation au-dessus du niveau de la mer, est construit au centre de neuf avenues d’arbres, dont chacune est constituée par des arbres spéciaux, et les mêmes pour chaque avenue.

Autour du temple, un espace de cinquante kilomètres est rempli de statues gigantesques, représentant des animaux fabuleux. Tout cet ensemble est consacré à Vichnou, dont la statue invraisemblablement formidable occupe tout le temple et la pagode, et y est adorée sous le nom de Djagghernaath ; d’où en prononçant à l’anglaise : Djegghernaouth, c’est-à-dire le nom de la ville.

Cent mille habitants sont massés autour de l’édifice, et tout à l’heure plus d’un million de gens, hommes et femmes, atteints subitement de crise hystérique, vont s’y catalepsier, s’y somnambuliser.

Djagghernaath est une des incarnations de Vichnou. Je passe la légende du dieu, confuse et bête comme toutes celles des religions païennes.

La fête a lieu au mois de juin, en pleine chaleur et saison des pluies, pendant la mousson de Surouà.

Depuis un mois, de tous les coins de l’Inde, de Ceylan, de Golconde, d’Aoude, de plus loin encore, d’Arabie, de Perse, du Thibet, de la Chine, de partout où se prononce avec vénération le nom de Bouddha, de tous ces pays dont la superficie totale occupe plus d’un tiers du monde continental, des gens sont venus qui campent en plein air.

De quinze cent mille à deux millions d’êtres humains sont là, nus pour la plupart, grouillant en une étrange promiscuité des sexes, dans la boue à la couleur rouge de sang et parmi la vermine noire. Une vapeur se dégage comme un brouillard dans l’air humide, emportant au loin la fumée puante, le suint humain. Toute cette tourbe campe, formant des cercles concentriques autour du colossal temple de granit, dans les profondeurs sombres duquel l’idole et ses deux acolytes-sont cachés encore mystérieusement à tous les yeux. Et, du soir au matin, tout cela bruisse, frôle, piétine, cause, prie, vocifére et danse, en un brouhaha assourdissant, tandis que les peaux, jaunes, blanches, grises ou noires, des gens qui vont et viennent, comme une fourmilière en agitation perpé-