Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/684

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chiffre de cent-vingt par personne, chiffre fatidique et consacré. Ne citons que pour mémoire ceux qui se contentent de se percer ou de se couper la langue, le nez ou l’oreille ; ceux-là constituent un menu fretin sans importance. Nul n’est indemne ; l’hypnose mutilante continue sans arrêter un instant.

Et, pendant ce temps, les trois chars suivent et processent toujours.

Cependant la crise va bientôt toucher à sa fin, et la détente suivra, après un paroxysme indescriptible.

À l’annihilation hystérique, à l’obnubilation, à l’hypnose encore un peu consciente, à la nirvana, c’est-à-dire à l’absorption par la névrose, va succéder la nirvana définitive par la mort, et des scènes de sauvagerie sans nom vont se dérouler, une hystéro-catalépsie destructive, une somnambulie-suicide va terminer la crise et être la période de la fin.

Regardez. Les uns s’accrochent par les épaules aux crocs de fer dont, les jantes des roues sont garnies ; ils vont se faire, à chaque tour, fracasser bras et jambes, et ils mourront en trois ou quatre évolutions, sans avoir repris connaissance et en un délire inconscient. Les autres vont faire mieux : isolément d’abord, et les uns après les autres, les voici d’abord qui vont se faire écraser, mais avec des raffinements. Celui-ci se couche sur le passage de la roue en engageant seulement la tête ; crac ! la roue passe, c’est fait. Cet autre s’étend tout du long, le visage contre terre, les pieds dirigés vers le char, mais de façon à n’être écrasé que d’une moitié du corps. Cet autre enfin, debout, attend la roue qu’il voit venir bien en face ; elle le culbute, et encore une fois, crac ! un tour, c’est fini ; quelques lambeaux humains montent encore en cercle de l’autre côté, avec la jante à laquelle ils sont collés, puis disparaissent sans plus laisser de traces ; d’un seul coup, le sable a pompé le sang, et du corps de l’homme pulvérisé, derrière elle, il ne reste rien qu’un sillon rouge dans le sol, dont c’est la couleur naturelle qui se confond avec le sang.

Maintenant, les isolés sont devenus foule, et c’est un tapis humain qui s’allonge et se recouche sans cesse sous les roues…

Pouah !… ce souvenir écœurant est ineffaçable… En vain j’essaie de l’expulser de mon esprit… Là-bas, sous l’étouffée humaine dans le temple, les cadavres en bouillie et en putrilage déjà sous la chaleur restent collés aux murs, reconnaissables encore ; mais ici, sous l’écrasement de la roue, il ne reste plus rien de ce qui fut un homme.

Tantôt, lorsque la cérémonie sera finie et la foule en route dans le lointain, aux derniers rayons obliques et brûlants encore du soleil couchant, les chacals viendront flairer les places, les hyènes gratteront du pied et de la langue humeront la terre saturée de détritus promptement putréfiés, et demain, de la scène il ne restera plus trace ; seuls, des