Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/729

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sagesse, et que, lorsqu’il lâche la bride au Maudit, c’est qu’il a ses raisons, raisons que nous pouvons ne pas comprendre, vu l’impuissance de notre intellect humain, mais qui n’en existent pas moins, si mystérieuses qu’elles soient.

Je passe au deuxième fait dont je trouve la narration dans la lettre de mon correspondant de Dampierre :

« Ce qui suit date de plus loin et m’a été raconté par mon père, qui n’était point homme à broder sur ces choses-là. Lui-même y avait assisté avec un nommé Laverdure, qui, lors du fait, était sacristain de M. l’abbé Fuseau, curé à Dampierre.

« À cette époque, une femme, dont les descendants habitent encore Dampierre, passait pour s’occuper de grimoire et de magie. Un jour, cette femme se trouva prise d’accès désordonnés de terreur, qui attirèrent chez elle les voisins. On alla avertir le curé, M. Fuseau, qui, arrivant aussitôt, vit la femme en proie à des transports épouvantables, se roulant, se tordant, et criant :

« — Le voilà ! le voilà ! il va m’emporter ! »

« Le curé s’était assis et s’efforçait de la rassurer, lui disant :

« — Non, non, il ne vous emportera pas. »

« Mais voici que tout-à-coup, à la grande surprise des assistants, on voit entrer dans la chambre, surgissant on ne sait d’où, une poule noire, énorme, de la taille d’une grosse dinde, qui s’avance jusqu’au milieu de la pièce, les ailes hérissées, le bec ouvert au bout du cou tendu vers la malheureuse femme, comme si elle voulait la dévorer.

« Le curé se leva. À l’instant même, l’énorme poule noire tomba raide morte.

« — Mes amis, dit l’abbé Fuseau, qu’on enlève d’ici cette bête ; allez l’enrocher le plus profond que vous pourrez, et que personne, animal ou homme, ne mange de sa chair. Cette femme vient d’être délivrée de son obsession. »

« Évidemment, cette poule était le diable, qui, sans la présence du vénérable prêtre, se serait jeté sur la malheureuse, et alors sait-on ce qui serait arrivé ? »

Je partage entièrement l’opinion de mon correspondant. Le diable, pour obséder les créatures de Dieu, prend toutes les formes, aussi bien les formes ridicules que les formes non ridicules. Les sceptiques riront de cette histoire de grosse poule noire. « Est-il admissible, diront-ils, que le diable, s’il existait, soit assez niais et stupide pour s’incorporer dans une poule grotesque, quoique énorme ? Non certes, cela n’est pas admissible, et, par conséquent, l’histoire de la femme de Dampierre, obsédée par une volaille de basse-cour, est un conte imaginé à plaisir. »