Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/743

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La stupeur fut générale, quand on s’aperçut qu’elle était solidement barricadée à l’intérieur ; mais comment, par qui et par quoi ?

Cependant, tous les bruits maintenant avaient cessé dans la salle de police, et un silence, plus effrayant peut-être et complet, leur succédait.

Sans perdre un instant, en se mit en devoir d’enfoncer la porte qui offrit une résistance inexplicable ; on dut y aller à coups de hache. Enfin, brisée, en morceaux, elle céda ou plutôt tomba par fragments.

On put alors, à la lueur des lanternes, examiner l’intérieur, qui offrait un étrange et lugubre spectacle. Le lit de camp énorme, solidement construit et puissamment scellé dans le mur, était arraché de ses attaches de fer ; et c’était lui qui, mis en travers, barricadait hermétiquement la porte. Or, il était matériellement impossible qu’un homme seul eût fait cela ; cet acte était, de toute évidence, au-dessus des forces humaines et aurait demandé, pour être exécuté, plusieurs heures à deux ou trois maçons armés de leurs outils professionnels.

Contre le mur du fond, le sous-lieutenant était debout, acculé, tenant de la main droite son sabre, dont la pointe appuyait par terre et servait de point d’appui au corps, et de la main gauche le pistolet déchargé pendant au bout du bras.

D’après cette attitude, on voyait que l’officier avait dû se défendre et n’avait pas été surpris par derrière. La figure de l’infortuné était méconnaissable, livide par plaques et tuméfiée ; la langue pendait hors de la bouche ; les yeux sortaient des orbites, d’où s’écoulaient encore, goutte à goutte, des pleurs ; et, autour du cou, un énorme bourrelet gonflé, ecchymosé, montrait les traces de deux mains d’une vigueur invraisemblable, qui l’avaient entouré, serré progressivement, puis, dans une dernière étreinte, étranglé tout-à-coup.

Telle est, non pas l’histoire, mais la légende de la salle de police du fort de Vincennes. Rien n’est plus facile que de démêler le vrai du faux, dans tout ce récit ; mais il faut, pour cela, s’éclairer de la lumière de l’Église. Le fait des suicides consécutifs des trois soldats se classe, sans grande difficulté, dans la catégorie des hallucinations de caractère obsédant, avec contagion (je parlerai des hallucinations dans la VIe partie de cet ouvrage), et il ne s’est passé rien autre. Mais cette série de suicides par imitation étant extraordinaire, — je ne dis pas : surnaturelle, — le besoin de broder, qui est une faiblesse des foules, s’en est mêlé et a transformé l’histoire vraie en légende fantaisiste. Seulement, il est arrivé ce qui se produit chaque fois que le mensonge entre en jeu : il laisse toujours percer le bout de l’oreille.

Comment pourrait-on admettre une seconde que Dieu, qui est infiniment juste et bon, eût laissé assassiner par le Maudit trois créatures inno-