Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/83

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L’autre, qui était, paraît-il, un contre-maître de la grande filature de Savannah, reprit :

— Frère, tu peux monter ; que notre Dieu te reçoive !

À peine eus-je mis la tête hors de l’orifice, qu’une puanteur horrible me saisit à la gorge ; c’était infect ; je faillis avoir des nausées.

Je gravis, néanmoins, la dernière marche, et je pénétrai dans le sanctuaire infernal. Une immensité, ce sanctuaire. C’est un ancien temple indien, condamné et muré, situé sur le territoire anglais, qui vient jusqu’aux portes de Pondichéry. Comme il menaçait ruine, on avait dû l’évacuer, et l’administration anglaise de Karnatic, n’ayant pu s’en débarrasser en le vendant, personne n’en ayant voulu aux enchères, elle l’avait fait épontiller, consolider par des madriers de bois, enfin en avait fait murer toutes les ouvertures. Un affilié luciférien l’avait alors loué à bail emphytéotique ; l’intérieur avait été, à nouveau, réparé, fortifié, grâce à un donateur aussi riche que fanatique ; et ce qui paraît extérieurement une ruine aujourd’hui est redevenu un temple, mais un temple secret, dont personne ne peut soupçonner l’entrée, puisqu’elle communique par un long tunnel souterrain avec une maison ordinaire située dans Pondichéry, sur le territoire français. L’aération de l’édifice est des plus défectueuses ; il n’y a, au plafond, très élevé, que des espèces de meurtrières, des fentes disposées de loin en loin. La transformation du vieux temple abandonné en sanctuaire luciférien remonte à plus de quarante ans, les sectateurs de Satan étant constitués en société bien antérieurement à la fondation de la loge du rite d’York.

Tandis que je venais de pénétrer, une nouvelle file de onze affiliés arriva à l’escalier d’entrée ; c’était le frère Campbell, le templier du rite d’York, à qui les honneurs de la séance allaient être décernés en même temps qu’à moi. Il portait le cordon de Sublime Chevalier Maître Choisi, 30e et dernier degré de son rite ; mais, comme moi, il avait remplacé le bijou ordinaire par un lingam ailé en bronze.

On nous plaça tous deux à l’occident de l’immense et puante salle. Les assistants, fort nombreux, et en un nombre forcément multiple de onze, se tenaient debout.

Le grand-maître fakir, à l’orient, donna un coup de sifflet retentissant, et tout le monde se mit à l’ordre luciférien, moi les imitant, c’est-à-dire dans la posture exigée par le rituel : la main gauche à plat sur le cœur, et le bras droit pendant le long du corps, la main droite fermée, sauf l’index dans la direction du sol.

Alors, les fakirs maîtres des cérémonies nous invitèrent, le frère Campbell et moi, à prendre place à l’orient, aux deux côtés du grand maître, devant l’autel du Baphomet, autel absolument semblable à celui