Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/876

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avait pas besoin, s’étant confessé depuis peu. Lorsqu’il fut au milieu du bûcher, le bourreau voulut l’étrangler, afin qu’il ne sentit pas le feu ; mais le feu brûla la corde, et son corps tomba dans les flammes. À ce moment, le démon de la sœur Claire, étant à l’exorcisme, s’écria : « Voilà mon pauvre maître Grandier qui brûle et qui tombe comme je fais ». Lorsqu’il fut sur le point d’expirer, les démons témoignèrent avoir de l’inquiétude ; mais aussitôt qu’il fut mort, ils éclatèrent de joie, disant qu’ils avaient eu grande peur qu’il ne leur échappât, parce que la Mère de Dieu avait prié pour lui.

« Un autre démon dit le lendemain qu’ils étaient allés plus de deux cents diables conduire en enfer Urbain Grandier, à quatre heures trois quarts du soir, qui fut en effet l’heure où il mourut. Le père exorciste lui dit : « Tu es un menteur, Grandier s’est converti. » — « C’est vous même qui mentez, répondit-il ; il ne s’est point converti, à cause de sa superbe, et parce qu’il n’a pas voulu confesser qu’il fût magicien. » — « Mais, lui dit le père, il a invoqué le Créateur en mourant. » — « Dites donc plutôt, reprit le démon, qu’il a invoqué Lucifer ; et pour marque qu’il ne s’est point converti, il n’a pas prononcé le nom de Jésus, ni pris de l’eau bénite. » Puis le démon, se tournant vers les assistants, leur dit : « Messieurs, je vous conjure d’être superbes ; vous verrez comme nous les traitons en enfer ! »

Après la mort de Grandier, les ursulines continuant d’être possédées comme auparavant, les exorcismes se firent avec la même assiduité. Les démons, interrogés en particulier sur le sort de Grandier et les supplices qu’il souffrait en enfer, donnèrent à ce sujet les détails les plus circonstanciés.

« Un père exorciste, continue le père Surin, s’apercevant que depuis la mort de Grandier, plusieurs démons ne paraissaient plus dans les religieuses, en demanda la cause à un qui était en faction. « Ils sont allés en enfer, lui répondit-il, festoyer Grandier qui était notre maître, et qui est devenu notre valet. La fête est bonne pour nous, et les féries sont longues pour lui. » Un autre père exorciste demandant encore au démon ce que faisaient les autres en enfer si longtemps. « Ils paient, dit-il, Grandier des bons services qu’il leur a rendus. » — Un autre démon, étant interrogé où était son maître Grandier, dit : « Il n’est plus mon maître, il est auprès de Lucifer où il se chauffe bien. Il fait bien chaud dans ce pays-là ! Lucifer l’a reçu avec bien de la cérémonie. Il a été fort étonné du traitement qu’il en recevait. Il maudit son oncle qui lui a appris le métier de magicien. Il enrage de ce que je publie ses malheurs et les miens ; mais il faut obéir au Souverain qui veut que je dise que Grandier grince des dents et est toujours désespéré… »