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Page:Taxil, Mémoires d'une ex-palladiste parfaite, initiée, indépendante.djvu/393

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Au temps où je prévoyais, non ma conversion encore, mais ma rupture avec les chefs de la secte, j’ai pu rendre quelques services à des braves gens, et cela sans me faire connaître sous mon nom ; Dieu merci ! la reconnaissance n’est pas totalement bannie de notre pauvre humanité ; il est encore des cœurs pleins de gratitude, gardant le souvenir de qui leur est venu en aide aux heures de la plus sombre tristesse. Quand j’ai eu à demander asile, je savais que telle porte où j’irais frapper s’ouvrirait, et que là, paisible, j’aurais toute certitude d’hospitalité discrète et ignorée. Discrète, parce que la chère famille au sein de laquelle je vis ne soupçonne rien des événements auxquels j’ai été mêlée ; étrangers à la politique, ne s’en occupant en aucune façon, ils ne se doutent même pas qu’un mystère peut être attaché à ma personne ; simples et bons, m’entourant d’affection et de respect, ils ne se préoccupent nullement de connaître quel motif m’a poussée à choisir pour ma retraite leur coquette propriété, où la promenade m’est possible ; quand je pleure, ils me croient des chagrins de famille ; je prends mes repas avec eux ; je travaille, prie et médite dans un pavillon qu’ils m’ont cédé et où j’ai pour compagne une amie, inconnue à la secte ; cette amie et un saint prêtre du voisinage sont seuls dans le secret bien loin la ronde, on ignore, ou peu s’en faut, qu’il existe une Franc-Maçonnerie ; mes hôtes m’appellent leur « bonne fée » et prennent ma compagne pour ma sœur.

Oui, retraite discrète et ignorée, qu’avec la protection du bon Dieu, en qui j’ai mis toute ma confiance, la secte ne peut découvrir.

Pour recevoir ma correspondance, il me suffit d’une double transmission dont j’ai déjà parlé (page 349) ; les amis sûrs, déjà éprouvés, que j’ai autorisés à faire le triage de mes lettres, sont deux seulement, et ne connaissent que l’adresse d’un bureau restant d’une grande ville. Je n’ai pas à dire commentée qui m’est destiné me parvient les lettres urgentes, par courrier immédiat ; les moins pressées, apportées en tas, au moment où le voyage est possible à l’un de mes deux amis, et ce voyage alors n’a rien d’anormal, vu la profession du porteur des correspondances en retard.

Tout ceci peut paraître compliqué, parce qu’il serait imprudent de dire ici quelle est la combinaison employée pour éviter à ma compagne de se rendre au bureau même où mes lettres sont adressées à son nom, recommandées, et comment, quoique recommandées, elles peuvent parvenir à tel autre bureau, hors de la ville, sous enveloppe nouvelle à un autre nom. La combinaison est des plus simples ; mais il fallait en avoir l’idée et trouver un prétexte afin qu’un intermédiaire salarié pût se charger de la plus vulgaire des opérations de poste, sans pouvoir soupçonner quelle correspondance passe entre ses mains. D’ailleurs, cette combinaison si simple a été indiquée à telles et telles personnes amies, qui pourraient en témoigner, — je dis indiquée, car chacun a été trop discret pour demander les noms mis en usage, quoique faciles à changer d’ailleurs ; — et l’on a été unanime à déclarer le procédé merveilleux de simplicité et de sécurité.

Quant aux lettres non urgentes, apportées en bloc, leur paquet est remis de la main à la main à l’une des deux seules personnes qui sont dans le secret de ma résidence ; il suffit d’une rencontre, convenue d’avance dans une grande ville plus ou moins à proximité.

Les lettres que j’expédie ne partent jamais de la localité où je suis. On