Page:Taxil, Mémoires d'une ex-palladiste parfaite, initiée, indépendante.djvu/526

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au fond du calice) soit changé en son corps, uni à l’âme d’Adonaï. Ce mystère grotesque a excité et excitera toujours la sage moquerie des philosophes.

J’interromps la citation pour une remarque. Sophia débitait là le texte du rituel ; mais elle parlait contre sa pensée, puisqu’elle croit à la présence réelle. Ce texte d’invitation au sacrilège est un monument de ruse infernale. Il a été composé en vue surtout de la récipiendaire qui a été élevée dans la foi catholique et qui s’en est détachée ; il s’agit donc de combattre, par un doute inclinant autant que possible vers la négation, le sentiment de respect qui pourrait se réveiller tout-à-coup en cette âme égarée ; mais, tout en la poussant à n’avoir aucune crainte, on veut que la nouvelle initiée ait néanmoins conscience d’un outrage au sacrement de l’Eucharistie. C’est pourquoi, par une perfide transition, l’allocution de la Grande-Maitresse continue ainsi :

— Mais admettons, pour un instant, la présence réelle du traître et de son père adoptif dans ce morceau de pain. Ainsi, par une providentielle absurdité, Adonaï et Jésus se seraient livrés à notre discrétion. Eh bien, soit que ce pain soit un symbole, soit qu’il contienne vraiment les ennemis de notre Dieu, nous avons le devoir de lui cracher notre mépris…

J’étais stupéfaite.

— Aimable et Parfaite Sœur, imitez-moi ; conclut Mlle Walder, crachant dans le calice.

Non, je ne m’attendais pas à cette conclusion !

Quoi ! c’était pour en arriver à cet acte de folie qu’on m’avait fait prononcer ce serment solennel, qui m’avait ravie d’allégresse !… En mon esprit il y avait conviction que l’affirmation de la présence réelle était un mensonge ; mais abominer le mensonge ne signifiait pas pour moi qu’il fallût se livrer à des voies de fait contre le néant. Il n’était pas possible que Lucifer demandât cela, le Dieu-Bon étant à mes yeux la suprême intelligence. Cette épreuve inattendue ne concordait à aucun degré avec l’éducation que j’avais reçue ; mon père ni mon oncle ne m’avaient enseigné la haine de l’Eucharistie… Je me disais donc que cette épreuve était quelque superfétation d’un palladiste mal équilibré de cervelle, quelque addition ridicule au véritable rituel du grade ; ayant en profonde vénération le grand et docte Albert Pike, je n’hésitai pas une seconde à penser que je me trouvais en présence de novateurs maladroits et stupides.

— Imitez-moi donc ! répéta Sophia ; crachez sur le pain maudit !

— Non, répondis-je, en haussant les épaules.

Je vivrais cent ans, que je n’oublierais jamais le cri de stupeur qui éclata dans la salle.

Il y eut un « oh ! » formidable, poussé avec ensemble par toutes les voix.

— Qu’est-ce que cela signifie ? ajoutèrent quelques Frères ; — et plusieurs