Page:Tchékhov - Salle 6, trad Roche, 1922.djvu/109

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– Maman vient de prendre deux demi-quarts de livre de thé, dit-il à son père ; où faut-il marquer cela ?

Le père ne répondit rien, s’arrêta, et réfléchit, remuant les sourcils. Puis il monta chez sa femme :

– Varvârouchka, ma petite mère, lui dit-il doucement, si tu as besoin de quelque chose dans la boutique, prends-le… Prends-le sans te gêner.

Le lendemain, le sourd, courant dans la cour, lui cria :

– Maman, prenez ce dont vous aurez besoin.

Il y avait dans ce fait de donner des aumônes quelque chose de joyeux et de léger, quelque chose de nouveau comme les lampes devant les images et les fleurs rouges. Quand, au carnaval, ou à la fête paroissiale, qui durait trois jours, on écoutait aux moujiks du salé pourri, exhalant une si griève odeur qu’il était difficile de se tenir auprès des barils, quand on prenait en gage aux ivrognes des faulx, des chapeaux, des hardes de femmes, quand les ouvriers des fabriques se vautraient dans la boue, hébétés par la mauvaise eau-de-vie, et que le mal, ayant pris consistance, semblait se tenir en l’air comme un brouillard, on se sentait un peu mieux à l’idée que là, dans la maison, il y avait une femme douce et propre qui ne s’occupait ni de salé, ni de vodka. Ses aumônes agissaient, en ces