Page:Tchékhov - Salle 6, trad Roche, 1922.djvu/11

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

aucune notion de la nécessité. Sa vie se trouva complètement changée. Il dut, du matin au soir, donner des leçons à bas prix, s’occuper d’écritures et, malgré tout, il creva de faim, car il lui fallait envoyer à sa mère tout ce qu’il gagnait. Ivan Dmîtritch n’y put tenir ; il perdit courage, languit, et, abandonnant l’Université, revint chez lui. Il obtint par protection, dans sa petite ville, une place d’instituteur à l’école du district, mais il ne put pas s’entendre avec ses collègues, il déplut aux élèves, et donna vite sa démission. Sa mère mourut. Il resta sans place pendant six mois, vivant de pain et d’eau. Ensuite il devint huissier, et le resta jusqu’au jour où sa maladie le fit relever de sa charge.

Jamais, même dans ses premières années d’Université, il n’avait donné l’impression d’un être bien portant. Il était pâle, maigre, sujet aux rhumes, mangeait peu, dormait mal. Pour un petit verre d’alcool sa tête tournait et il avait une crise de nerfs. Il aimait la société, et, cependant, à cause de son caractère irritable et méfiant, il ne devenait intime avec personne et n’avait point d’amis. Il ne parlait de ses concitoyens qu’avec mépris, disant que leur ignorance grossière, que leur vie somnolente et végétative lui semblaient abominables et répugnantes. Il parlait haut, d’une voix aiguë, toujours sincère, ne connaissant que