Page:Tchékhov - Salle 6, trad Roche, 1922.djvu/120

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

– Il ne fait que mentir, dit le vieillard avec admiration ; il ne fait que mentir !

– Maintenant je suis toujours avec Samorôdov. C’est ce Samorôdov qui vous écrit mes lettres. Il écrit magnifiquement. Et si je vous disais, maman, continua joyeusement Anîssime se tournant vers Varvâra, quel homme c’est que Samorôdov, vous ne me croiriez pas. Nous l’appelons tous Moukhtar, car c’est une espèce d’Arménien ; il est tout noir. Je vois ses pensées ; je connais toutes ses affaires comme mes cinq doigts, maman, et il le sait ; aussi il ne fait que me suivre ; il ne me quitte pas d’un pas et l’eau même ne nous séparerait pas [1]. Quoiqu’il me craigne, il ne peut pas vivre sans moi. Où je vais, il vient aussi. J’ai, maman, l’œil sûr et juste. Je vais au marché aux nippes : je vois un moujik qui vend une chemise : « Arrête, moujik ! c’est une chemise volée. » Et c’est vrai ! Ça se trouve ainsi : la chemise a été volée.

– À quoi connais-tu cela ? demanda Varvâra.

– À rien, j’ai l’œil. Je ne sais pas quelle chemise il y a là ; je sais seulement que quelque chose me tire vers elle ; chemise volée, voilà tout. Chez nous, dans la police, on dit déjà : « Allons, Anîssime, va-t’en tirer les bécassines. » Ça veut dire

  1. Expression proverbiale russe. (T.)