Page:Tchékhov - Salle 6, trad Roche, 1922.djvu/160

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nettoyait les bottes de son père. Pas une autre âme, ni au hameau, ni sur la hauteur.

– Il ne boit pas…, dit Lîpa, regardant le cheval.

Mais la femme et l’enfant partirent, et il n’y eut plus personne. Le soleil s’était couché, se couvrant d’un brocart d’or et de pourpre, et de longs nuages, rouges et lilas, s’étendaient sur le ciel pour garder son repos. Quelque part, au loin, un butor, comme une vache enfermée dans une étable, criait d’une voix mélancolique et sourde. Chaque printemps on entendait le cri de cet oiseau mystérieux, mais personne ne savait comment il est ni où il vit. En haut, à l’hôpital, dans les arbustes de l’étang, au hameau, et partout dans les champs, les rossignols chantaient. Un coucou comptait l’âge de quelqu’un, s’embrouillait dans ses comptes et recommençait. Les grenouilles, sur l’étang, furieuses, s’appelaient à tue-tête, et l’on pouvait distinguer leurs mots « Et toi de même ! Et toi de même ! » (I ty takôva ! I ty takôva !) Quel vacarme ! Il semblait que tous ces êtres criaient et chantaient pour que personne, ce soir de printemps, ne pût dormir, pour que tout, et même les grenouilles furieuses, jouît de chaque minute et la chérît, car la vie n’est donnée qu’une fois.

Le croissant de la lune brillait dans le ciel et il y avait beaucoup d’étoiles. Lîpa ne se souvint pas depuis combien de temps elle était assise auprès