Page:Tchékhov - Salle 6, trad Roche, 1922.djvu/17

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prison, mais plus il raisonnait avec logique, plus ses angoisses mortelles s’accroissaient !… C’était tout à fait comme ce que l’on raconte d’un ermite qui voulait s’ouvrir une petite clairière dans une forêt : plus il travaillait de la hache, plus la forêt repoussait dru. Ivan Dmîtritch, à la fin, voyant que rien n’y faisait, cessa complètement de raisonner et s’abandonna tout entier au désespoir et à la peur.

Il se mit à s’isoler et à fuir les gens. Sa fonction déjà lui déplaisait ; elle lui devint insupportable. Il redouta qu’on ne lui tendît quelque piège, qu’on ne lui glissât dans sa poche de l’argent volé et qu’ensuite on ne le convainquît de l’avoir reçu par corruption, ou il craignit de faire lui-même sur du papier timbré quelque erreur équivalant à une fraude, ou de perdre de l’argent qu’on lui aurait confié. L’étrange est que jamais sa pensée n’avait été si souple et si inventive qu’elle le fut soudain, pour lui suggérer chaque jour mille raisons variées de s’inquiéter pour sa liberté et pour son honneur. Par contre, son intérêt pour les livres et pour les choses extérieures diminua sensiblement, et sa mémoire commença à lui faire souvent défaut.

Au printemps, quand la neige disparut, on trouva dans un ravin, près du cimetière, les cadavres à demi pourris d’une vieille et d’un jeune garçon portant les traces d’une mort violente. Dans la