Page:Tchékhov - Salle 6, trad Roche, 1922.djvu/243

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au visage, mais elle a consenti ; elle a pris tous les torts pour elle.

– Il me semble que ce n’est pas dix mille roubles, mais quinze mille qu’elle a exigés ? fit Ouzélkov.

– Oui, oui, quinze mille ! Je me trompais, dit Châpkine déconcerté. Au reste, vieille affaire, il n’y a pas à s’en cacher : je lui ai donné dix mille roubles, et les cinq mille autres, je vous les ai pris en escompte. Je vous ai trompés tous les deux. Vieille affaire, il n’y a pas à en avoir honte… Et à qui prendre, Boris Pétrôvitch, jugez-en, sinon à vous ? Vous étiez un homme riche, gorgé… Vous vous étiez marié à l’aise, vous divorciez à l’aise ! Vous gagniez énormément. Dans une entreprise, je m’en souviens, vous aviez raflé vingt mille roubles… De qui tirer de l’argent, sinon de vous ? Et, il faut l’avouer, l’envie aussi me torturait… Vous amassiez, on mettait chapeau bas devant vous, et moi, pour un rouble, on me fouettait ; au cercle, on me souffletait. Mais à quoi bon se souvenir ? Il est temps d’oublier !

– Dites-moi, je vous prie, comment vécut ensuite Sôphia Mikhâïlovna, demanda Ouzélkov.

– Avec ses dix mille roubles ? Très mal ? Dieu sait si ce fut une rage qui la prit, ou si sa conscience et sa fierté la tourmentaient, ou si peut-être elle vous aimait, toujours est-il qu’elle se mit à boire. L’argent reçu, elle se mit à courir en troika avec des officiers. Ivrognerie, dissipation, débauche…