Page:Tchékhov - Salle 6, trad Roche, 1922.djvu/40

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cartes avec les infirmières et boivent-ils de l’eau-de-vie. Dans le cours de l’année, douze mille personnes ont été abusées : l’œuvre hospitalière tout entière repose, comme il y a vingt ans, sur la fraude, les commérages, les cancans, la camaraderie, et sur le charlatanisme grossier. L’hôpital, comme jadis, offre l’image d’un établissement immoral et des plus malsains. Le docteur sait que, sous les grilles, dans la salle 6, Nikîta rosse les malades, et que Moïseïka va mendier chaque jour en ville…

Il sait parfaitement d’autre part que, dans les vingt-cinq dernières années, il s’est produit dans la médecine un changement fantastique. Lorsqu’il était étudiant, il lui paraissait que la médecine aurait bientôt le sort de l’alchimie et de la métaphysique. Maintenant, au cours de ses lectures, la nuit, la médecine le transporte et éveille en lui de l’admiration et de l’enthousiasme. En effet, quel éclat soudain, quelle révolution ! Grâce à l’antisepsie, on fait des opérations que le grand Pirogov [1] n’osait même pas espérer possibles. Les médecins les plus ordinaires des zemstvos [2] entreprennent

  1. Célèbre chirurgien russe. (N. d. t.)
  2. Les zemstvos, pour diminuer la mortalité effrayante dans les campagnes par suite du manque total d’hygiène, et pour amoindrir l’influence pernicieuse des sorciers et des devins, ont fait de la médecine un service gratuit et public. Mais comme la plupart ne peuvent offrir que des traitements insuffisants, les médecins les moins capables ont presque seuls accepté les offres des zemstvos. Sur ce point intéressant, voyez notamment : A. LEROY-BEAULIEU, l’Empire des tsars, II. Voir aussi Russia by Mackenzie-Wallace (Tauchnitz, édit., 1er vol). (N. d. t.).