Page:Tchékhov - Salle 6, trad Roche, 1922.djvu/8

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promet à chacun de lui rapporter de la rue un kopek et de lui coudre un chapeau neuf ; enfin il fait manger son voisin de gauche, le paralytique général. Il agit ainsi non par compassion ni par aucune raison d’humanité, mais par imitation et par soumission involontaire envers son voisin de droite, Grômov.

Ivan Dmîtritch Grômov est noble. Il est âgé de trente-trois ans, il a été huissier et secrétaire de gouvernement ; il a la monomanie de la persécution. Il se tient couché sur son lit, ramassé sur lui-même en petit pain, ou va d’un angle à l’autre de la salle, comme pour faire de l’exercice ; il s’assied très rarement. Il est toujours en éveil, inquiet, comme tendu par quelque attente indéfinissable. Il suffit du moindre frôlement dans le vestibule ou d’un cri dans la rue pour qu’il dresse la tête et se mette à prêter l’oreille. Ne vient-on pas le surprendre ? Ne le cherche-t-on pas ? Et son visage exprime l’anxiété la plus grande et l’horreur. J’aime son visage large, à fortes pommettes, toujours pâle et malheureux, où se reflète, comme en un miroir, le combat d’une âme torturée et en perpétuelle frayeur. Ses grimaces sont étranges et maladives, mais ses traits fins, exprimant une souffrance réelle et profonde, sont ceux d’un homme intelligent et cultivé, et il y a dans ses yeux une