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Page:Tcherpakoff - Les Fous littéraires, 1883.djvu/15

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ou mauvaises, ils émettaient des idées qui pouvaient être étudiées et peut-être conduire à un résultat imprévu ; mais il me répondit qu’il ne faisait aucun cas d’idées qui n’aboutissaient pas à un résultat pratique et qu’il n’avait d’estime que pour les sciences positives. On comprendra que moi qui avais un faible pour les rêveurs, je ne répondis rien. — Quelques moments après je me trouvais seul avec le libraire, auquel je demandai comment il avait pu conserver l’air indifférent qu’il affectait pendant la scène que nous avions eue ; voici ce qu’il me répondit : « D’abord mon intérêt de marchand et la discrétion m’imposent l’obligation de ne pas intervenir dans une discussion entre mes pratiques, tant qu’elles ne dépassent pas les bornes des convenances, ensuite une leçon que je reçus, il y a une vingtaine d’années, m’a rendu prudent. Je dirigeais à cette époque une librairie dont le propriétaire était absent ; un jour entre dans le magasin un monsieur de grand air et assez âgé, qui me demande si nous n’avions pas quelques uns des ouvrages de Swedenborg ; je lui montrai le peu que nous avions, ce qui ne le satisfaisait pas. Tenant à lui vendre pourtant quelque chose, je lui dis que nous possédions plusieurs œuvres d’autres visionnaires et illuminés, telles que celles de Boeme et surtout de son traducteur français, Saint-Martin. En entendant ma proposition, ce monsieur me regarda d’un air sévère, et me dit avec gravité :