Page:Termier - Marcel Bertrand, 1908.djvu/42

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cette distinction bien établie, il prenait l’essor dans la région de l’hypothèse, d’un vol incroyablement hardi, mais sans jamais perdre de vue ― quelle que fût la hauteur où il s’en allât planer ― les données positives et certaines d’où il était parti. Quand une explication se présentait à lui, il voyait d’un seul coup d’œil jusqu’où elle porterait et quelles seraient ses extrêmes conséquences. Si ces conséquences n’étaient en contradiction avec aucun fait connu, l’hypothèse méritait d’être introduite dans la science, au moins provisoirement ; et peu importaient alors sa nouveauté et sa hardiesse, peu importait qu’elle dût sembler révolutionnaire ou folle à l’immense majorité des géologues. Mais, si un seul fait se dressait à l’encontre, la vérification de ce fait s’imposait tout d’abord, quelle que fût la séduction de l’hypothèse. Voir constamment tout l’ensemble, penser constamment à la synthèse, ne jamais rencontrer une difficulté sans la prendre immédiatement comme sujet d’étude, faire bon marché de tout amour-propre d’auteur ou d’inventeur, de toute vanité de professeur, rester toujours prêt à reconnaître sa méprise, à changer sa manière de voir : telle a été, pendant les vingt-deux années de sa carrière scientifique, la méthode de Marcel Bertrand. Comme à tous les hommes, il lui est arrivé de se tromper ; mais on n’a jamais pu lui reprocher une faute grave contre cette méthode. Il n’a pas résolu toutes les difficultés ni compris toutes les énigmes ; mais il n’est jamais passé à côté d’elles sans les voir et les signaler ; et surtout il n’a jamais cru les avoir résolues et comprises tant que le moindre doute ou la moindre obscurité subsistaient, à leur égard, dans son esprit.

À quiconque causait avec lui, à quiconque l’écoutait parler ou lisait ses livres, Marcel Bertrand donnait l’impression d’un être à part, d’une intelligence infiniment supérieure à la moyenne des intelligences, d’une âme particulièrement exilée et souffrant plus que les autres