Page:Termier - Marcel Bertrand, 1908.djvu/60

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heures charmantes passées, sur un sommet, dans un ravin, au bord d’une route en plaine, ou le soir dans une salle d’auberge, à écouter le Maître avec une attention passionnée, soit qu’il parlât de géologie générale, soit qu’il essayât de rendre compte de la structure de toute une région, soit qu’il plaisantât gaiement et innocemment sur les hommes et les choses, soit qu’il se laissât entraîner dans le domaine de la spéculation philosophique, soit qu’il prit plaisir à causer littérature et poésie. C’est à ceux-là qu’il s’est montré tel qu’il était, dans sa bonhomie rieuse qui n’était qu’une forme gaie de la bonté, dans l’incomparable vigueur de sa dialectique, dans sa géniale perspicacité d’observateur et d’interprète, dans sa vaste érudition et sa compréhension plus vaste encore, dans la délicatesse de ses sentiments intimes qu’il cachait d’abord par une sorte de pudeur instinctive, dans toute la richesse enfin de sa merveilleuse nature, dans tout ce qui faisait de lui un exemplaire choisi et rare d’humanité perfectionnée et quasi surhumaine. Ce sont ceux-là, surtout, qui ont compris quelle perte immense la Science a faite, en 1900, quand brusquement Marcel Bertrand s’est arrêté dans sa tâche et a cessé de produire ; ce sont ceux-là qui ont porté et qui portent encore son deuil, et qui restent inclinés, avec une infinie commisération, une sympathie respectueuse et tendre, devant la douleur inexprimable de sa veuve et de ses filles.

Un soir de l’été de 1890, dans les Alpes de Savoie, au pied du glacier de Gébroulaz, par 2.200 mètres d’altitude, près du chalet du Saut où nous devions passer la nuit, j’attendais Marcel Bertrand. Nous nous étions quittés la veille en nous assignant réciproquement ce rendez-vous. Nous avions compté sur un gîte convenable : hélas ! le chalet n’avait plus de toiture, et les dernières planches de la porte désormais inutile se consumaient dans le feu maigre où, sous les yeux de nos guides, notre souper