Page:Tertullien - Œuvres complètes, traduction Genoud, 1852, tome 1.djvu/231

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que tu es, Marcion, il ne t’a retiré ni ses soleils, ni ses pluies. Mais ton dieu ! il ne pouvait se plaindre de mon ingratitude ; qu’avait-il fait pour mériter ma reconnaissance ?

« Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. » Cela revient à dire : « Partagez votre pain avec celui qui a faim ; recevez sous votre toit l’indigent qui n’a point d’asile ; lorsque vous voyez un homme nu, couvrez-le. Jugez pour le pupille ; rendez bonne justice à la veuve. » A cette conformité des deux lois, je reconnais le dogme antique de celui qui « préfère la miséricorde au sacrifice. » Ou bien, si un dieu nouveau recommande la miséricorde parce que la miséricorde est son apanage, pourquoi tant de siècles d’intervalle avant de m’être miséricordieux ?

« Ne jugez point et vous ne serez pas jugé. Ne condamnez point et vous ne serez pas condamné. Remettez et il vous sera remis. Donnez et il vous sera donné, et on répandra dans votre sein une mesure pleine, pressée, qui débordera ; car on se servira envers vous de la mesure dont vous vous serez servi. »

Cet oracle, si je ne me trompe, annonce une rétribution proportionnée aux mérites individuels. Mais d’où viendra cette rétribution ? Des hommes seulement ? Ainsi d’après cette doctrine, loi et récompense, tout sera humain, et c’est à un homme comme moi qu’il me faudra obéir. Du Créateur, à titre de juge et de rémunérateur ? Donc, dans cette hypothèse, il incline notre soumission vers le Dieu dans les mains duquel il nous montre une rétribution bien heureuse ou formidable, selon que chacun de nous aura jugé, condamné, pardonné, mesuré le prochain. De lui-même ? mais le voilà transformé eu juge ; et qu’il soit juge, Marcion ne le veut pas. Choisissez donc, ô Marcionites ! Il y a une moindre inconséquence à déserter les bannières de votre chef, qu’à garder un christ en connivence avec l’homme ou avec le Créateur.