Page:Tertullien - Œuvres complètes, traduction Genoud, 1852, tome 1.djvu/438

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La nature de l’âme, si je ne me trompe, est de sentir. A vrai dire, point d’animal sans sentiment ; point de sentiment sans âme. Pour m’exprimer plus énergiquement encore, le sentiment est l’âme de l’âme. Par conséquent, puisque l’âme donne le sentiment à tous les êtres, et qu’elle connaît non seulement leurs qualités, mais aussi tous leurs sentiments, quelle vraisemblance y a-t-il qu’elle n’ait pas reçu dès le principe le sentiment de ce qu’elle est. D’où vient qu’elle connaît des nécessités de sa nature[1] ce qu’il lui est indispensable de connaître, si elle ignore sa condition naturelle à laquelle ces vérités sont nécessaires. Il est aisé de voir que chaque âme a la connaissance de soi-même, connaissance sans laquelle nulle âme ne pourrait se gouverner. A plus forte raison croirai-je que l’homme, qui de tous les êtres vivants est le seul raisonnable, a reçu une âme intelligente et qui fait de lui un être raisonnable, parce qu’elle est avant tout capable de raison. Or, comment cette âme qui fait de l’homme un être raisonnable, sera-t-elle raisonnable elle-même, si elle ignore sa propre raison, ne se connaissant pas soi-même ? Tant s’en faut qu’elle s’ignore elle-même, qu’elle connaît son auteur, son juge et sa propre condition. Avant d’avoir rien appris encore sur Dieu, elle nomme Dieu : avant de rien connaître de ses jugements, elle se recommande à Dieu. Rien qu’elle entende plus souvent que ces mois : Il n’y a point d’espérance après la mort ! Et cependant elle adresse des vœux ou des imprécations à ceux qui ne sont plus. J’ai développé plus au long cet argument dans le traité du Témoignage de l’âme.

D’ailleurs, si l’âme ne se connaissait pas elle-même dès son origine, tout ce qu’elle a dû apprendre du Christ, c’est ce qu’elle est. Toutefois ce qu’elle a appris du Christ, ce n’est point à connaître sa forme, mais son salut. Voilà pourquoi

  1. Tertullien entend par ces nécessités naturelles, les grandes vérités qui sont la vie de l’ame.