Page:Tertullien - Œuvres complètes, traduction Genoud, 1852, tome 1.djvu/69

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autorise-t-il pas à conclure qu’il est soumis à toutes les autres affections ? Y-a-t-il volonté sans désir qui l’aiguillonne ? La volonté marche-t-elle sans quelque sollicitude ? Citez-moi un être raisonnable qui veuille une chose qu’il ne désire pas, qui la veuille et la désire, sans que ces mouvements de l’ame entraînent les soins et la préoccupation ? De ce que le dieu improvisé a voulu, a convoité le salut de l’homme, il s’est suscité à lui-même des embarras, il en a suscité à d’autres. Si Epicure dit non, Marcion dit oui. En effet, il a soulevé contre lui l’élément que sa volonté, que ses désirs, que ses sollicitudes ont combattu, soit le péché, soit la mort ; surtout il a tourné contre lui l’arbitre du péché et de la mort, le maître de l’homme, le Créateur. Poursuivons. Point d’œuvre qui s’accomplisse sans jalousie, sinon là où manque l’adversaire. En voulant, en convoitant, en prenant à cœur le salut de l’homme, il a jalousé et le rival qu’il dépouille à son propre bénéfice, et les chaînes de la victime qu’il affranchit. Avec la jalousie arrivent contre l’objet qu’elle jalouse, la colère, la discorde, la haine, le dédain, le refus, l’outrage, ses auxiliaires inséparables. Si tel est le cortège de la jalousie, la jalousie Je traîne avec elle dans la délivrance de l’homme. Or la délivrance de l’homme est l’acte d’une bonté qui ne pourra agir sans les sentiments et les affections qui la dirigent contre le Créateur. Autrement, déshéritez-la de ses sentiments et de ses affections légitimes, vous la proscrivez comme désordonnée et irraisonnable.

Nous développerons avec plus d’étendue cette matière quand il s’agira du Créateur et des reproches qu’on lui adresse.

XXVI. Pour le moment il suffira de démontrer qu’attribuer une bonté unique et solitaire à un dieu, en lui refusant tous les autres mouvements de l’ame que l’on érige en crime dans le Créateur, c’est précisément énoncer sa perversité. Il faut à Marcion un dieu sans jalousie, sans colère, sans condamnation, sans châtiment, puisqu’il ne s’assied jamais