Page:Tertullien - Œuvres complètes, traduction Genoud, 1852, tome 2.djvu/259

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la curiosité publique s’est endormie. Cette vérité, que d’autres sont ravis de connaître, on l’ignore par choix, et on prétend la juger ! Oh ! que ces hommes méritent bien mieux la censure d’Anacharsis que ceux qui jugeaient des musiciens sans l’être eux-mêmes ! Ils aiment mieux ne pas savoir, parce que déjà ils haïssent ; tellement ils pressentent que ce qu’ils ignorent ils ne pourraient le haïr s’ils le connaissaient. Cependant, en approfondissant la vérité, vous trouverez que cette haine n’a point de motifs ; en ce cas, sans doute, il faut renoncer à une haine injuste : ou vous en découvrirez de raisonnables ; alors, loin d’éteindre votre haine, elle n’en sera que plus durable par la sanction de la justice.

— Mais enfin, dira-t-on, le Christianisme est-il bon par cela qu’il attire à lui la multitude ? Combien d’hommes se tournent vers le mal ! Que de transfuges de la vertu ! —Qui le conteste ? Mais cependant parmi ceux mômes que le vice précipite, il n’en est pas un qui ose le donner pour la vertu. La nature a répandu sur toute espèce de mal la crainte ou la honte. Le méchant cherche les ténèbres ; découvert, il tremble ; accusé, il nie ; sous les instruments qui le torturent, il n’avoue ni facilement, ni toujours ; condamné, il s’attriste, il se tourne contre lui-même ; les emportements et les égarements des passions, il les impute à la fatalité, à son étoile, parce qu’il ne veut point accepter comme venant de lui le mal qu’il reconnaît. A-t-on jamais rien vu de semblable parmi les Chrétiens ? Pas un qui rougisse, pas un qui se repente, sinon de n’avoir pas toujours été Chrétien. Dénoncé, il s’en fait gloire ; accusé, il ne se défend pas ; interrogé, il confesse hautement ; condamné, il rend grâces. Etrange espèce de mal qui n’a aucun des caractères du mal, ni crainte, ni honte, ni détours, ni regret, ni repentir ; singulier crime, dont le prétendu coupable se réjouit, dont l’accusation est l’objet de ses vœux, le châtiment son bonheur. Vous ne sauriez appeler démence ce que vous êtes convaincus d’ignorer.