Page:Tertullien - Œuvres complètes, traduction Genoud, 1852, tome 2.djvu/75

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t-elle pas plus de soulagement que de torture, en trouvant sa mort parmi des cuisiniers précieux, avalée avec les assaisonnements d’Apicius et de Lurcon[1], servie sur les tables de Cicéron[2], emportée dans la riche vaisselle de Sylla, ayant un banquet pour funérailles, dévorée par ses égaux plutôt que par les vautours et les loups, de sorte que, ensevelie dans le corps d’un homme et rentrée dans le genre qui lui appartient, elle semble être ressuscitée, triomphant des jugements humains, si elle les a éprouvés. En effet, ils livrent, à des bêtes diverses, choisies à dessein et dressées par d’autres maîtres que la nature, le meurtrier vivant encore, que dis-je ? mourant avec peine, afin qu’il endure toute la plénitude de son supplice par les savantes lenteurs de son trépas. Son âme a-t-elle pris les devants sous les coups d’un dernier poignard ? Son corps n’est pas même à l’abri du fer. Sa gorge et ses entrailles sont percées, sa poitrine est rompue ; qu’importe ? on exige de lui la compensation de son propre forfait. De là on le précipite dans les flammes, afin de punir sa sépulture. D’autre sépulture, il n’y en a pas pour lui. Cependant on ne veille pas sur son bûcher avec un soin tel que d’autres animaux ne se disputent ses restes. Au moins point de pardon pour ses ossements, point de grâce pour ses cendres : il faut les châtier par la nudité. La vengeance que les hommes tirent de l’homicide est aussi grande que la nature elle-même qu’ils vengent. Qui ne préférerait la justice du siècle, qui, selon la déclaration de l’Apôtre, n’est pas armée en vain du glaive, et qui, en sévissant pour l’homme, est religieuse ? Si nous nous rappelons encore le châtiment infligé aux autres crimes, le gibet, le bûcher, le

  1. Aufidius Lurco, fameux gourmand cité ailleurs par Tertullien. Aufidius Lurco primus saginâ corpora vitiavit, et coactis alimentis inadulterinum provexit saporem. ---- De Pallio.
  2. Cicéron. Adigo cauterem ambitioni, qua M. Tullius quingentis millibus nummûm orbem citri emit. Id., de Pallio.