Page:Tertullien - Œuvres complètes, traduction Genoud, 1852, tome 3.djvu/72

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absolument rien, que de créer quelque chose à titre précaire, ou par violence, et cela avec une substance mauvaise ? En supposant même que la Matière fût infiniment bonne, ne devait-il pas regarder comme indigne de lui, de créer quoi que ce soit avec le bien d’autrui, quelque bon qu’il fût ? Il a manqué de prudence, si produisant le monde à cause de sa gloire, il n’est parvenu qu’à prouver qu’il est le débiteur d’une substance étrangère, et qui plus est, dépourvue de bonté.

— Fallait-il donc, reprend Hermogène, qu’il créât toutes choses de rien, pour que l’on mît aussi les maux sur le compte de sa volonté ?

— En vérité, il faut que l’aveuglement des hérétiques soit grand pour raisonner ainsi, lorsqu’ils supposent un autre dieu bon et très-bon, parce qu’ils regardent le Créateur comme l’auteur du mal, ou bien lorsqu’ils élèvent la Matière jusqu’au Créateur, pour que le mal provienne de la Matière et non du Créateur, puisqu’aucun Dieu n’est à l’abri de cette accusation, et va passer pour l’auteur du mal, quel qu’il soit, dès que, sans avoir fait le mal par lui-même, il permit à qui que ce soit et n’importe comment, de le produire. Qu’Hermogène le sache donc, en attendant que nous établissions ailleurs la distinction et la cause du mal, son blasphème n’avance rien. En effet, voilà que Dieu devient, sinon l’auteur, au moins l’approbateur du mal, puisque, malgré sa bonté infinie, il supporta, si longtemps avant la formation du monde, la perversité de la Matière, qu’il aurait dû réformer en sa qualité de Dieu bon et opposé au mal. Point de milieu ! Ou il a pu la corriger et il ne l’a pas voulu ; ou il l’a voulu, mais il ne l’a pas pu, Dieu sans puissance. S’il l’a pu sans le vouloir, il est mauvais lui-même, puisqu’il a favorisé le mal. Dès-lors il peut en être regardé comme l’auteur, parce qu’il a beau ne l’avoir pas créé, toutefois, s’il n’avait pas voulu qu’il existât, il n’existerait point ; il a donc créé personnellement ce à quoi il a permis d’être. Connais-