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Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/187

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de Camelot revint à la foi de ses ancêtres, et leur sang et leur fortune s’épuisèrent au service de cette sainte cause, tant qu’il resta un Stuart pour se mettre à la tête des généreux courtisans du malheur.

Lady Marie Caerlyon fut élevée dans un couvent de Paris, où elle eut pour marraine la dauphine Marie-Antoinette. Dans tout l’éclat de sa beauté on l’avait mariée ou plutôt vendue à lord Gaunt qui, étant venu pour se distraire à Paris, avait gagné des sommes considérables au milieu des orgies auxquelles on se livrait dans le palais de Philippe-Égalité. Le fameux duel du comte de Gaunt avec le comte de La Marche, des mousquetaires gris, était attribué, par la rumeur publique, aux prétentions que cet officier, d’abord page et ensuite favori de la reine, avait élevées à la main de la belle lady Mary Caerlyon. Elle épousa le comte de Gaunt à peine remis de sa blessure, et vint habiter Gaunt-House et figurer pour quelque temps à la cour du prince de Galles. Fox en fut amoureux ; Morris et Sheridan lui dédièrent des vers ; Malmesbury la poursuivit de prévenances ; Walpole la déclara charmante, et la duchesse de Devonshire en tomba jalouse. Mais bientôt elle renonça aux plaisirs et aux joies du monde, au tourbillon par lequel elle s’était d’abord laissé emporter. Après la naissance de son second fils, elle voua sa vie aux pratiques austères de la dévotion. Cela explique comment lord Steyne, qui aimait par-dessus tout le plaisir et ses folies, ne resta pas longtemps après son mariage auprès d’une femme toujours plongée dans les larmes et le silence.

Tom Eaves, déjà cité, et dont le nom ne se mêle à cette histoire que pour les renseignements qu’il a pu nous procurer sur l’histoire secrète des habitants de Londres, Tom Eaves m’a communiqué, sur le compte de milady Steyne, des détails particuliers que je livre, sous toute réserve, à l’appréciation du lecteur.

« Les humiliations (c’est lui qui parle), les humiliations que cette femme a dû essuyer dans son intérieur sont de nature à faire dresser les cheveux sur la tête. C’est-à-dire qu’on me mettrait plutôt en morceaux avant que de me faire consentir à admettre dans la société de mistress Eaves les femmes que lord Steyne recevait à sa table. »

Tom Eaves mentait ; Tom Eaves aurait sacrifié sa dignité et