qu’ils y avaient laissé une foule de malheureuses, parmi lesquelles la charmante Mme Rawdon, avec laquelle ils étaient au mieux.
Mais nous avons des motifs pour ne pas croire aveuglément à cette assertion. Champignac aimait avec passion l’écarté, et faisait, dans le cours de la soirée, une série de parties avec le colonel, tandis que Becky, dans la pièce voisine, chantait des romances à lord Steyne. Quant à Truffigny, il n’osait se montrer à l’hôtel des Étrangers, par suite des affaires d’argent qu’il avait avec le maître de l’endroit. Et puis, quelle raison Becky aurait-elle eue d’abaisser ses regards sur l’un ou l’autre de ces deux jeunes gens, et de leur accorder des faveurs spéciales. Elle les laissait faire ses commissions, acheter ses gants et ses bouquets, lui offrir des loges à l’Opéra, et multiplier autour d’elle les soins et les attentions : c’était fort bien, mais elle ne s’en amusait pas moins à leurs dépens lorsqu’ils s’avisaient de lui parler anglais devant lord Steyne. Alors elle se moquait d’eux à leur barbe, en les complimentant avec le plus grand sang-froid sur leurs progrès dans la langue anglaise, ce qui ne manquait jamais de faire sourire son noble protecteur. Truffigny fit cadeau d’un châle à Briggs pour gagner à sa cause la confidente de Becky, et la chargea d’une lettre, que la trop naïve demoiselle remit à sa maîtresse en présence d’une nombreuse assistance. Becky fit circuler le poulet dans toutes les mains, et le contenu amusa beaucoup ceux qui en prirent connaissance. Tout le monde le vit, à l’exception de Rawdon, qu’il était inutile de mettre au courant de tout ce qui se passait dans la petite maison de May-Fair.
Avant peu Becky vit accourir chez elle non-seulement ce qu’il y avait de plus comme il faut, pour nous servir d’une expression usitée parmi les étrangers en tournée à Londres, mais encore ce que l’Angleterre possédait de plus huppé ; et par ce mot nous n’avons point en vue des gens plus ou moins vertueux, plus ou moins spirituels, plus ou moins bêtes, plus ou moins riches, plus ou moins nobles, mais tous ceux que l’on peut comprendre dans cette expression comme il faut, et sur le compte desquels ce seul mot dit tout.
Lady Fitz-Willis, lady Slowbore et autres personnes du même calibre avaient fait chez lord Steyne les avances les plus bienveillantes à mistress Crawley. Le soir même tout