Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/246

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semble… allez prendre votre bière ou votre absinthe au café comme il vous plaira, si mieux n’aimez aller geindre auprès de lady Jane ; seulement n’attendez pas que j’aille me faire du mauvais sang à cause de cet enfant. Il faut bien que je prenne soin de vos affaires, puisque vous ne savez pas en prendre soin vous-même. Où seriez-vous maintenant, je vous le demande, si je vous avais abandonné à vos propres forces ? quelle mine feriez-vous dans le monde, si je n’avais toujours été là pour vous diriger ? »

Ce qu’il y a de certain, c’est que, dans tous les salons où allait Becky, on s’inquiétait peu du pauvre Rawdon, et que même maintenant on invitait la femme sans le mari. Quant à mistress Rawdon, il semblait désormais qu’elle n’eût jamais vécu en dehors du grand monde, et, lorsque la cour prenait le deuil, elle se mettait en noir de la tête aux pieds.

Une fois qu’il eut été pourvu à l’avenir du petit Rawdon, lord Steyne, qui portait aux affaires de Crawley le même intérêt que si elles eussent été les siennes, trouva que le départ de Briggs serait une réforme utile au budget des dépenses ; Becky était d’ailleurs assez entendue pour tenir elle-même sa maison. Il a été dit dans un précédent chapitre que le noble lord avait fourni à sa protégée les moyens de payer l’emprunt fait à Briggs, et celle-ci n’en continuait pas moins à rester à Curzon-Street. Milord en tira la fâcheuse conclusion que mistress Crawley avait employé son argent à quelque autre usage que celui pour lequel il le lui avait si libéralement donné. Lord Steyne ne poussa pas la simplicité jusqu’à demander à Becky une explication à ce sujet : il était sûr d’avance qu’elle aurait mille excellentes raisons à lui opposer pour justifier l’emploi de cet argent ; mais il résolut toutefois d’en avoir le cœur net, et conduisit cette affaire avec une délicatesse et une habileté merveilleuses.

Un jour où mistress Rawdon était à la promenade, milord se présenta au petit hôtel de Curzon-Street. Il demanda à Briggs une tasse de café, lui raconta qu’il avait de bonnes nouvelles du petit collégien ; enfin il manœuvra si bien qu’au bout de cinq minutes il sut d’elle que tout ce qu’elle avait reçu de mistress Rawdon se bornait à une robe de soie, cadeau qui avait fait tressaillir son cœur de reconnaissance.

Milord souriait en écoutant ce récit candide et naïf ; la ver-