Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/266

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impossible de rien faire pour vous : tout mon argent est engagé, les cent livres à l’aide desquelles Jane vous a tiré de prison, je les avais promises pour demain à mon homme d’affaires, et leur absence va me jeter dans un grand embarras. Ce n’est pas qu’en ce qui dépend de moi je refuse de vous venir en aide ; mais pour ce qui est de payer vos créanciers, c’est tout comme si je m’engageais à acquitter la dette publique ; ce serait une folie, une folie sans nom. Tâchez de vous arranger avec eux. C’est triste, j’en conviens, pour une famille, mais cela se voit tous les jours. La semaine dernière, Georges Kiteley, fils de lord Bugland, a fait une convention de ce genre, et le voilà, comme on dit, blanchi à neuf, et cela sans bourse délier pour son père. Ainsi donc…

— Ce n’est point d’argent qu’il s’agit, fit Rawdon d’une voix rauque ; je ne viens point vous parler de moi, et vous ne pouvez douter du motif qui m’amène.

— Qu’y a-t-il donc ? dit Pitt en respirant plus librement.

— C’est pour mon fils que je viens réclamer votre appui, fit Rawdon d’une voix émue. Promettez-moi d’avoir soin de lui quand je n’y serai plus. Votre chère femme a toujours été bien bonne pour lui et il l’aime plus que sa… Damnation sur cette femme ! Tenez, Pitt, vous savez que j’étais destiné à avoir un jour l’héritage de miss Crawley ; mais on m’a encouragé dans mes extravagances et dans ma paresse, et sans cela j’aurais été un homme tout autre. Au régiment, je ne me suis pas encore acquitté trop mal de mon affaire ; et quant à cet héritage, vous savez comment je l’ai perdu et où il est passé.

— Après les sacrifices que j’ai faits pour vous, l’assistance que je vous ai donnée, répliqua sir Pitt, une pareille allusion me semble déplacée dans votre bouche. C’est à vous et non à moi qu’il faut vous en prendre.

— Tout est fini de ce côté, dit Rawdon, tout est fini maintenant. »

Il prononça ces paroles avec un sourd frémissement qui fit tressaillir son frère.

« Mon Dieu ! Y a-t-il quelqu’un de mort ? demanda Pitt avec un accent de pitié et d’inquiétude.

— J’en aurais terminé avec la vie, continua Rawdon sans prendre garde à ces paroles, si ce n’avait été mon petit Rawdy.