Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/399

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reçut néanmoins une invitation pour la fête du prince Polonia. Sa femme de chambre l’habilla avec un soin tout particulier ; puis Becky se rendit à ce bal au bras du major Loder, en compagnie duquel elle voyageait alors. C’était le même major qui, l’année suivante, tua en duel le prince de Ravioli à Naples, et fut roué à coups de canne par sir John Buckskin pour avoir mis par mégarde, en jouant à l’écarté, quatre rois dans son chapeau en sus de ceux qui se trouvaient dans le jeu. Ces deux honnêtes personnes se rendirent donc ensemble au bal, et Becky y reconnut une foule de visages qu’elle avait rencontrés dans des temps plus heureux, alors que, sans être plus vertueuse, elle jouissait du moins de la réputation qui s’attache à cette qualité. Le major Loder y retrouva une foule d’étrangers à la mine équivoque, aux moustaches effilées, portant à la boutonnière des rubans froissés et fanés, et laissant voir le moins de linge possible. Quant aux Anglais, ils se détournaient à l’approche du major. Becky y rencontra aussi quelques dames de sa connaissance : des veuves françaises, des comtesses italiennes d’une provenance douteuse, victimes, comme toujours, des brutalités de leurs maris.

Pour nous, qui fréquentons la meilleure compagnie de la Foire aux vanités, quittons vite cet égout où s’agite tout ce que ce bas monde renferme de plus impur. Jouons, si nous y trouvons du plaisir, mais que ce soit au moins avec des cartes propres et non avec des cartes grasses. Mais, hélas ! il suffit d’avoir un peu voyagé pour s’être trouvé en présence de quelques-uns de ces escrocs qui portent les couleurs du roi, montrent une commission parfaitement en règle, et font profession de dévaliser leurs semblables jusqu’au moment où, sans autre forme de procès, on les prend à quelque coin de rue.

Becky, toujours au bras du major Loder, parcourait les salons du prince Polonia, et figurait d’une manière fort méritante dans les nombreux assauts donnés au buffet et au champagne par une armée irrégulière d’avides invités. Quand notre couple se sentit suffisamment rafraîchi, il dirigea ses pas vers un petit salon de velours rose, où venait aboutir cette longue suite d’appartements. Là, au milieu de la pièce, on voyait la statue de Vénus, mille fois répétée par les glaces de Venise qui garnissaient les lambris. Le prince avait fait servir dans cette pièce un petit souper fin pour les hôtes qu’il honorait d’une